OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Quelle sera la première ville open source du monde ? http://owni.fr/2011/05/02/ville-open-source/ http://owni.fr/2011/05/02/ville-open-source/#comments Mon, 02 May 2011 12:47:30 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=60037 Voici deux traductions pour s’interroger ensemble sur le concept de « ville open source ». Il s’agit de voir ici la ville comme une plateforme, une plaque tournante, un incubateur, bref un lieu privilégié où peuvent s’épanouir les entreprises et start-up qui placent l’open source au cœur de leur stratégie et de leur développement.

Les villes de Raleigh (USA) et Montréal (Canada) souhaitent apparemment poser leur candidature et ont, semble-t-il, de bons arguments.

Encore faudrait-il définir ce qu’est ou peut être une « ville open source », et se demander s’il est pertinent de vouloir créer, favoriser ou labelliser de telles villes.

L’un des auteurs nous propose ainsi trois critères : la volonté de partager, la volonté d’être informé, et une attitude ouverte à l’innovation, à la créativité et aux expérimentations de toutes sortes.

Et en France, me direz-vous ? Cela bouge du côté de l’Open Data (Rennes, Paris…) mais au-delà, je ne sais pas. Des avis et des liens sur la question ?

PS : Nous avions déjà évoqué la chose dans un billet sur une autre ville canadienne Vancouver : S’il te plaît… dessine-moi une ville libre.

1. Raleigh, Caroline du nord – la première ville open source au monde

Raleigh, NC—the world’s first open source city

Jason Hibbets – 21 février 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Khyl, Naar, Cheval boiteux et Goofy)

J’ai commencé à méditer sur les qualités qui devaient définir une ville open source il y a quelques mois, quand mon ami Tom Rabon m’en a fait mention au détour d’une conversation. J’étais curieux de voir de quelle façon la ville dans laquelle j’habite, Raleigh, en Caroline du Nord, pouvait attirer d’autres entreprises open source et en être un incubateur mondial, pour en devenir un exemple phare de gouvernance. Comment Raleigh pouvait-elle devenir la capitale du monde de l’open source, à l’instar de ce que sont la Silicon Valley pour la technologie et Paris pour la romance ?

Je pense que la réponse peut être trouvée à la fois par le gouvernement et par la population. D’abord, nos dirigeants doivent être partants pour adopter l’open source au quotidien. Ils doivent faire preuve de transparence dans leur gestion des affaires et dans l’encouragement à la participation citoyenne. Les citoyens, quant à eux, doivent être prêts à participer et à contribuer en donnant de leur temps et de leurs connaissances. Les deux ont besoin d’adopter un prototypage rapide pour explorer de nouvelles idées et des solutions innovantes.

Mais en quoi Raleigh se distingue-t-elle des autres villes ? En quoi est-elle plus apte à être une ville open source que New York, San Francisco, Londres, Paris ou Pékin ? J’ai rencontré autour d’une table le maire de Raleigh, Charles Meeker, pour discuter de ce qui faisait qu’une ville pouvait devenir open source.

Le maire Meeker a été élu en 2001 et s’est familiarisé avec l’open source, principalement en s’intéressant à Red Hat et au modèle de développement open source. En tant qu’avocat, il n’est pas étonnant que le maire Meeker comprenne les avantages de la collaboration et du partage des connaissances. Voyons pourquoi la ville de Raleigh est prête à revendiquer son titre de première ville open source au monde.

Quel grand chantier, en dehors de la technologie, a la meilleure chance d’être abordé par la voie open source (c’est-à-dire au moyen de la collaboration, de la transparence, du partage, de la méritocratie, du prototypage rapide, d’une communauté, etc.) ?

Dans une zone de la ville de Raleigh, l’accent a été mis sur l’utilisation d’un éclairage plus éco-énergétique dont nous pouvons mesurer les résultats. Nous nous activons à la promotion et au partage de nos expériences avec les autres municipalités, notamment pour tester notre consommation d’électricité et la qualité de la lumière produite. Le partage de cette information est un élément majeur de notre expérience.

La ville de Raleigh dispose de quarante installations en LED avec une économie moyenne de 200 000 €/an sur les coûts en électricité. Le retour sur investissement est généralement de l’ordre de 3 à 5 ans (en considérant les coûts du capital). C’est une excellente option pour les parkings éloignés. Vous pouvez facilement installer quelques panneaux solaires et ne pas avoir à ajouter de nouvelles lignes ou changer d’infrastructure. La possibilité pour les villes du monde entier d’adopter l’éclairage éco-énergétique est une véritable chance qui s’offre à elles. La ville de Raleigh veut prendre part à l’aventure et être reconnue comme précurseur dans l’adoption de cette technologie. Propager la bonne parole sur l’éclairage par LED avec l’aide de notre partenaire, Cree, est important pour nous.

Quelles sont vos réflexions à propos d’un gouvernement ouvert ou gouv’ 2.0 et que peut faire la ville de Raleigh pour avoir un gouvernement plus ouvert et transparent vis-à-vis de ses citoyens ?

Tout d’abord, toutes nos réunions sont ouvertes au public, à quelques exceptions près. Le véritable défi est de savoir profiter de l’expertise de chacun de nos citoyens. Il y a beaucoup de compétences de haut niveau qui peuvent servir à résoudre les vrais problèmes de la ville.

Une solution se situe au niveau des nouveaux comités, comme le nouveau comité ferroviaire que nous avons mis en place, et la façon dont leurs conseils et leurs recommandations sont pris en compte par la ville. Les questions autour des frais de gestion des eaux pluviales nous ont conduits à puiser dans l’expertise de nos citoyens pour apporter les meilleures solutions.

Le ferroviaire est un domaine qui sera opérationnel pour les 3 ou 4 prochaines années. Nous avons beaucoup de personnes expérimentées dans ce domaine prêtes à partager leur savoir et à mettre en application leurs connaissances pour aider à prendre les futures décisions.

Montrer au public ce que nous faisons et expliquer les bonnes pratiques sont des atouts qui restent sous-utilisés, mais nous avons eu du succès, notamment quand le comité de gestion des eaux pluviales a fait part de son avis sur la façon de mieux gérer les inondations. Le conseil municipal a ainsi été en mesure de mettre à profit l’expertise du comité pour prendre les meilleures mesures politiques à ce sujet.

Quelles sont les qualités requises pour devenir une ville open source ?

Trois critères me viennent à l’esprit :

  • la volonté de partager ;
  • la volonté d’être informé ;
  • une attitude ouverte à l’innovation, à la créativité et aux expérimentations de toutes sortes.

Les citoyens doivent se tenir prêts à adopter le futur. L’open source est une stratégie que nous appliquons pour aller de l’avant.

Pourquoi Raleigh s’est amorcée à devenir la première ville open source au monde ?

Nos citoyens sont prêts faire avancer Raleigh et à être plus concentrés sur la démarche open source. Raleigh est disposée à devenir son incubateur mondial.

L’avantage de Raleigh se situe au niveau de sa croissance et des emplois. Nous aimerions voir le Centre des congrès accueillir plus de conférences sur l’open source. Nous serions honorés de voir un tas de petits Chapeaux Rouges (NdT : référence faite à la distribution GNU/Linux Red Hat), et que des start-up et sociétés bien établies viennent dans notre région parce que nous avons fait le choix de ce modèle de développement.

Les partenaires sont aussi une grande partie de la réponse. Le Centre des congrès, le Syndicat d’Initiative, la Chambre du Commerce et les autres partenaires doivent adopter l’open source et le mettre en évidence dans le cadre de notre stratégie de développement économique.

Comment mettre en œuvre la démarche open source dans votre vie quotidienne ?

Au cabinet juridique pour lequel je travaille, j’ai essayé de fournir des informations à de jeunes avocats. Une sorte de partage des secrets commerciaux pour les aider à réussir plus rapidement, et, pour être franc, l’une des choses les plus difficiles pour toute personne de la fonction publique, c’est l’écoute. J’ai remarqué que l’écoute représente 70 à 80 % du travail. Vous devez pleinement comprendre ce qu’il se passe pour prendre la décision adéquate.

2. Montréal peut-il devenir un incubateur de start-up open source ?

Can Montreal Become an Open Source Startup Hub?

Evan Prodromou – 21 février 2011 – NextMontreal.com
(Traduction Framalang : Khyl, Naar, Cheval boiteux et Goofy)

« Le premier prix est une Cadillac El Dorado. Le deuxième prix est un lot de couteaux à viande. Le troisième prix est votre licenciement. » – Blake, Glengarry Glen Ross

Seth Godin indique, dans son fabuleux ouvrage The Dip [en] (NdT : Un petit livre qui vous enseignera quand renoncer et quand persévérer), que la seule position qui compte dans les affaires, c’est la première. Quand les lois du pouvoir et les effets de réseau sont nécessaires, la première place du classement est la seule où il faut être. Vous devrez être « le meilleur du monde » dans quelque chose, ou bien vous feriez mieux de laisser tomber et de faire autre chose.

Les écosystèmes technologiques – la plupart des marchés d’affaires, en fait – ont des effets de réseau, et cela veut dire que la seule position à avoir, en tant qu’écosystème, est la première. Être le meilleur au monde.

Quelle est la zone la mieux classée au monde dans les start-up du Web ? La baie de San Francisco. Quelle est la deuxième ? Probablement New-York City. Qui a le troisième prix ? Qui s’en soucie ? Le troisième prix, c’est votre licenciement.

Si nous nous soucions de la croissance de notre écosystème local, peut-être que nous aurions besoin d’arrêter notre course à la 14ème ou la 29ème place du classement dans le monde des start-up orientées Web et réfléchir à construire quelque chose d’autre. Un domaine dans lequel nous serions les meilleurs et sur lequel personne d’autre n’a encore vraiment travaillé. Là où nous pourrions être les meilleurs au monde – pas les 14ème, pour ensuite laisser tomber.

Montréal a la capacité d’offrir le meilleur écosystème au monde pour les start-ups centrées sur le développement de logiciels open source. Nous fournissons un bon cadre pour les entrepreneurs qui ont de l’expérience dans la mise en place d’entreprises tournées vers ce secteur économique, nous avons des investisseurs qui ont bien compris le processus d’investissement et d’encouragement de ce type de compagnies et nous avons un très précieux vivier de talents qui ont contribué à cette évolution.

Plus important, il n’y a aucune autre ville autant tournée vers l’open source sur le globe. San Francisco et Boston accueillent quelques sociétés, mais ne sont absolument pas des incubateurs. Le paysage commercial de l’open source se propage beaucoup plus à travers le monde, de Londres à l’Utah en passant par l’Allemagne et Austin.

Plus que tout, c’est sa commercialisation qui est difficile. Demandez à n’importe quelle personne impliquée dans une entreprise open source. La difficulté se trouve dans l’élaboration d’un modèle de travail. Il n’y a pas de solution simple. Les techniques des start-up pour les autres types d’affaires, tels que l’investissement et les stratégies de commercialisation, ne semblent pas s’appliquer aussi bien. Cela signifie qu’il existe un obstacle à l’entrée d’autres écosystèmes, dont un que nous pouvons exploiter.

En ce moment, j’ai connaissance d’au moins cinq start-up open source dans la ville :

  • StatusNet [en] – J’ai lancé cette entreprise ici-même en 2008. Nous avons levé 2,3 millions de dollars de fonds à Montréal et New-York. Nous enregistrons environ 5 000 téléchargements par mois et dénombrons 45 000 sites fonctionnant sur notre SaaS. Nous comptons actuellement 9 salariés à Montréal et San Fransisco (NdT : StatusNet est un logiciel libre de microblogging sur lequel repose Identi.ca).
  • Vanilla Forums [en] – Le meilleur système de gestion de forums au monde. Il tourne sur plusieurs centaines de milliers de sites et inclut un service SaaS de haute performance.
  • Bookoven [en] – Cette plateforme sociale de publication s’est tournée vers un modèle de logiciel open source. Dirigée par Hugh McGuire, créateur de Librivox, le très populaire projet de livre audio à contenus ouverts.
  • Stella [en] – Cette société à forte croissance a rendu [en] ses logiciels open source.
  • Subgraph [en] – Startup orientée sur la sécurité développant Vega, logiciel open source d’évaluation des vulnérabilités.

Au rang des investisseurs, deux des plus importants groupes financiers de la ville (iNovia Capital [en] et Real Ventures [en]) tentent l’expérience des start-ups open source. Real Ventures (ou plutôt son prédécesseur, MSU [en]) a déjà investi dans trois entreprises open source locales.

En ce qui concerne le potentiel des employés talentueux… c’est plus difficile. Il y a beaucoup de techniciens compétents dans la ville, et les sociétés open source qui en sont en dehors, comme Canonical [en] ont des équipes techniques locales qui peuvent suivre le bassin des start-up de talent. Quid du personnel d’entreprise talentueux ayant une expérience open source ? Ils sont rares sur le terrain. Heureusement, les gens qui ont travaillé dans les sociétés mentionnées plus haut constituent aussi un bon noyau de ce bassin.

Je crois que les conditions sont réunies pour que Montréal prenne sa place dans le monde des technologies en tant qu’incubateur de start-up open source. La semaine prochaine, je dévoilerai ce que je pense être un projet potentiel pour que Montréal devienne le fer de lance de ce marché.

Billet initialement publié sur Framablog

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Pourquoi la “révolution douce” du télétravail ne prend pas? http://owni.fr/2011/03/29/pourquoi-la-revolution-douce-du-teletravail-ne-prend-pas/ http://owni.fr/2011/03/29/pourquoi-la-revolution-douce-du-teletravail-ne-prend-pas/#comments Tue, 29 Mar 2011 06:30:30 +0000 paristechreview http://owni.fr/?p=53876 Il y a presque 40 ans, le télétravail semblait sur le point de devenir la norme. C’est toujours le cas aujourd’hui. Pourquoi cette révolution est-elle si lente – et à quoi ressemblera le monde du travail de demain si elle finit effectivement par aboutir?

En 1973, lorsque Jack Nilles [EN], ancien ingénieur en télécommunications à la NASA, étudia pour la première fois la possibilité d’utiliser l’électronique pour travailler à distance, il fut impressionné par tous les avantages potentiels que cela représentait. Il n’était nul besoin d’être un scientifique chevronné pour en comprendre l’intérêt. La société économiserait des milliards en essence et en heures de travail productives. Les entreprises verraient chuter les dépenses liées à leurs locaux et auraient des équipes bien plus fraîches et dispos. Quant aux employés, libérés des heures passées sur l’autoroute et dans les trains de banlieue, ils bénéficieraient d’une meilleure qualité de vie, avec plus de temps, d’énergie et d’argent disponible pour leurs amis et leur famille.

Nilles, qui a quitté le gouvernement en 1972 pour mener des recherches interdisciplinaires à l’Université de Californie du Sud, à Los Angeles, appela cette nouvelle opportunité le « telecommuting » (télétravail en français). Au milieu des années 70, se rappelle-t-il aujourd’hui, il pensait que le télétravail deviendrait la norme dix ou vingt ans plus tard.

Vous avez dit révolution ?

40 ans plus tard, nous sommes pourtant toujours coincés au bureau. Alors même que le monde a adopté les e-mails, Internet, les téléphones portables et aujourd’hui les réseaux sociaux, beaucoup d’entre nous font toujours de longs trajets au volant, aller et retour – et s’assoient souvent devant le même ordinateur portable qu’à la maison. Même aujourd’hui, la plupart des sondages montrent qu’aux Etats-Unis et en Europe, le télétravail est relativement rare. Si le fait de travailler à distance une partie du temps devient de plus en plus fréquent, moins de 2 % de la population télétravaille à plein temps dans les deux régions.

Dans l’ensemble, c’est comme si une partie du futur n’était pas encore arrivée, « un peu comme quand, enfant, vous imaginiez que nous irions tous travailler en voiture volante », explique Jon Andrews, consultant à PricewaterhouseCooper (PwC) à Londres.

Il y a de bonnes raisons pour lesquelles nous n’en sommes pas encore aux voitures volantes, mais qu’en est-il du télétravail ? Les réponses ne sont pas évidentes. Certaines études suggèrent que cela fonctionne bien. « Les télétravailleurs sont plus satisfaits de leur travail et le fait d’être loin du bureau la majeure partie du temps est source de beaucoup d’avantages », affirme Kathryn Fonner, professeur assistant de communications à l’Université du Wisconsin à Milwaukee. Kathryn Fonner a récemment mené avec Michael Roloff, professeur en communication à l’Université du Northwestern à Evanston, dans l’Illinois, une étude qui compare le niveau de satisfaction professionnelle des gens qui travaillent chez eux au moins trois jours par semaine avec celui de ceux qui travaillent uniquement au bureau.

Premier de ces avantages, selon Jack Nilles, ceux qui télétravaillent tendent à être plus et non pas moins productifs que les travailleurs basés dans des bureaux. 
D’après Nilles, qui est aujourd’hui consultant en télétravail pour JALA International, les entreprises ont aussi des raisons financières de préférer le télétravail. La plupart s’aperçoivent qu’elles peuvent économiser l’équivalent de 10 à 15 % du salaire d’un employé si celui-ci ne travaille pas dans leurs locaux. « Et comme avait coutume de le dire [feu le sénateur américain] Everett Dirksen, ‘un milliard par ci, un milliard par là, et assez vite vous parlez de beaucoup d’argent’ », commente Nilles.

Contraintes sociales

Pourquoi, alors, le télétravail n’a-t-il pas « pris » davantage ? « Les problèmes liés à la supervision et à la surveillance du travail ne sont pas des moindres », suppose Juliet Schor, historienne du travail au Boston College, « donc à moins que les gens soient payés à la tâche, ils sont compliqués à gérer pour les employeurs ». Nilles affirme lui que ces inquiétudes relèvent largement de l’imaginaire.

Le problème de base est le même depuis le début…. Le télétravail engendre ou déclenche une révolution sociale dans l’organisation et c’est toujours effrayant pour les dirigeants, affirme-t-il. Le plus grand obstacle au développement du télétravail a toujours été au niveau de l’oreille du manager plutôt qu’une quelconque difficulté technologique.

« Aujourd’hui, la contrainte est d’ordre social plutôt que technique », acquiesce Andrews, de PwC.
Nilles annonce clairement à ses clients que la décision d’autoriser ou non le télétravail dépend souvent en premier lieu de la manière dont l’entreprise définit ses priorités : productivité ou « politique » et temps de présence. L’inquiétude des employés peut aussi entrer en ligne de compte. Pour les célibataires en particulier, le bureau remplit toujours une fonction sociale importante. Dans les sociétés les plus high-tech, des études ont montré que 15 à 20 % des couples mariés se sont rencontrés au travail. Encore aujourd’hui, le bureau reste un des ingrédients principaux de l’imagination populaire, comme le suggère le succès que rencontrent des séries télé comme la comédie sombre « The Office » [EN] ou la trame plus noire encore de « Mad Men » [EN].

Des sondages ont suggéré que beaucoup d’employés craignent qu’en sortant du bureau, ils sortent aussi de l’esprit de leurs supérieurs, et restent ainsi à l’écart d’une promotion éventuelle. D’autres s’inquièteraient que leur patron ayant réalisé que le travail pouvait être fait à la maison, il pourrait aussi bien réaliser qu’il peut être fait à l’étranger.

De fait, si on se place d’un certain point de vue, on peut dire que la révolution du télétravail s’est bel et bien produite – mais les appels viennent de Noida (en Inde), pas de Neuilly. La sous-traitance de certains processus commerciaux représente une industrie de 59 milliards de dollars pour l’Inde seule. Pourtant, même au royaume des télécoms indien, l’open space est la règle plutôt que l’exception pour les entreprises high-tech. Nasscom, une association indienne de l’industrie high-tech, estime que les sous-traitants indiens de l’industrie des télécommunications ont investi dans plus de 18 millions de mètres carrés de bureau sur les dix dernières années.

Comme expliqué précédemment, le nombre de personnes qui travaille une partie de son temps à distance continue pourtant d’augmenter. Cette tendance naît parfois d’une logique de coût, particulièrement dans des entreprises technologiques comme Hewlett-Packard, qui peut économiser tout en mettant en avant sa technologie. Mais l’arrivée, chaque année, sur le marché du travail de jeunes qui n’ont jamais eu à associer travail et lieu de travail pourrait être un facteur plus déterminant.

Pour quelqu’un qui rêve d’être Don Draper (le publicitaire brillant et ténébreux de « Mad Men »), c’est peut-être une mauvaise nouvelle ; mais pour les autres, beaucoup d’opportunités nouvelles voient le jour – et pas seulement dans le domaine technologique. Starbucks et McDonald’s ont surfé avec beaucoup de succès sur la popularité du Wi-Fi. Pour le seul mois d’octobre, 30 millions de personnes se sont loguées sur les réseaux Wi-Fi gratuits de Starbucks aux Etats-Unis. Avec un peu moins de succès, des entrepreneurs plus modestes ont essayé de concevoir des immeubles et des « bureaux » comprenant des endroits où se réunir et des pièces pour travailler.

Les entreprises ont aussi beaucoup plus de facilité aujourd’hui à proposer des services nouveaux, note Jon Andrews. Il est par exemple plus facile pour des personnes de se réunir, au sein d’une entreprise et en externe. Au sein des entreprises, explique Jack Nilles, disposer de meilleurs moyens de communication permet aux experts de former plus facilement des « organisations éphémères », des équipes éparpillées à travers le monde qui se réunissent virtuellement pour résoudre un problème particulier.

Aujourd’hui, ceci est aussi valable pour les start-ups. Hal Varian, le nouvel économiste en chef de Google, a noté depuis cinq ans déjà l’émergence de « micro-multinationales » – des petites entreprises qui opèrent à cheval sur deux ou trois pays. Ces temps-ci, de plus en plus de ces petites multinationales se forment, des groupes se rencontrant en ligne et exploitant au mieux les ressources de chaque côté, comme le font les grandes entreprises depuis des décennies.

Au niveau du management, le télétravail a changé la manière d’opérer de manière parfois surprenante. Les outils de communication permettent aux cadres d’être en contact avec plusieurs sites à la fois. Mais ils voyagent toujours beaucoup – ils n’abandonnent pas le bureau, ils en ont plusieurs.

Si vous regardez les cadres les plus internationaux aujourd’hui… Ils passent finalement une grande partie de leur temps à télétravailler, observe Jon Andrews. Ils prennent leurs ordinateurs portables avec eux où qu’ils aillent.

Ironiquement, plutôt que de diminuer, comme on aurait pu s’y attendre dans un monde où tout le monde dispose gratuitement d’outils de vidéoconférence, les dépenses annuelles mondiales consacrées aux déplacements professionnels ont augmenté. Elles atteignent aujourd’hui 896 milliards de dollars (631 milliards d’euros) et devraient grimper à 1.200 milliards (845 milliards d’euros) d’ici à 2014, selon la NBTA Foundation [EN], l’organisme de recherche de la National Business Travel Association.

Le phénomène selon lequel la flexibilité conduit à passer plus de temps au travail ne fonctionne pas seulement pour les accros de la classe affaires. Les employés, libérés des heures de transport quotidiennes, ne passent pas ces dernières à jouer au golf. Jack Nilles a conclu que c’était l’inverse. « Les personnes qui télétravaillent tendent à travailler longtemps après que leurs collègues du bureau sont rentrés à la maison », écrivait-il dans un post de blog récent. Le problème est suffisamment sérieux pour que l’une des sessions de formation dispensée par son cabinet soit consacrée à apprendre aux employés à trouver un juste rythme de travail.

Le problème du travail en équipe

Le télétravail présente aussi de nouveaux défis aux managers. Le premier d’entre eux : l’effet sur la dynamique de groupe. « Même avec de nouvelles technologies, cela restera difficile », dit Cary Cooper, directeur de Robertson Cooper, un cabinet de conseil en psychologie organisationnelle britannique, « parce que beaucoup de ce qui contribue [à la construction d’une équipe] ne se joue pas dans des rendez-vous formels comme les vidéoconférences, les conference calls ou Skype. Beaucoup de tout ça se joue en coulisses, dans des moments informels ».

Nilles affirme de son côté que les effets positifs liés à la proximité géographique ont été surestimés. « Il est concevable que certaines opportunités de créer du lien soient manquées lorsque les personnes ne sont pas ensemble », admet-il. Mais, selon lui, « la plupart des lieux de travail sont dysfonctionnels. Ces conversations autour de la fontaine à eau tendent à concerner le sport ou comment un tel agit avec un tel plutôt que l’invention de nouveaux produits géniaux ».

La recherche semble aller dans le sens des observations de Nilles. L’étude récente de Kathryn Fonner et Michael Roloff a conclu que beaucoup d’employés sont heureux de télétravailler en partie parce que cela leur permet de rester en dehors de la « politique » du bureau. « Les télétravailleurs peuvent éviter ou échapper à la partie politique des relations de bureau, et c’était une chose dont ils étaient particulièrement satisfaits », explique Kathryn Fonner.

Les chercheurs ont également conclu que les télétravailleurs produisaient plus en évitant les réunions à répétition et la surcharge d’information en même temps que les manœuvres politiques, et devaient faire face en même temps à moins de conflits entre vie professionnelle et familiale. Satisfaire les besoins de chacun n’est pas pour autant une sinécure. « Les employés en télétravail ont beaucoup de difficulté à cause de limites moins claires », rappelle Fonner. « Il devient facile de naviguer de sa vie professionnelle à sa vie personnelle, mais c’est aussi stressant car vous êtes sans cesse en train de passer de l’un à l’autre ».

> Billet publié initialement sur ParisTechReview sous le titre Pourquoi la révolution douce du télétravail ne prend pas ?
Illustration Flickr CC Yanajenn, Erin_m et Sebastian Hillig

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Success Stori-fy http://owni.fr/2011/03/17/success-stori-fy-storify-sxsw/ http://owni.fr/2011/03/17/success-stori-fy-storify-sxsw/#comments Thu, 17 Mar 2011 12:46:17 +0000 Damien Van Achter http://owni.fr/?p=51965

Crédits photos CC FlickR par Providence Public Library

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“Music Net.Works” Yes we can! http://owni.fr/2011/02/26/music-net-works-yes-we-can/ http://owni.fr/2011/02/26/music-net-works-yes-we-can/#comments Sat, 26 Feb 2011 12:52:32 +0000 Hugo Amsellem http://owni.fr/?p=48607

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Article initialement publié sur OWNImusic sous le titre: “Bilan Music Net.Works #1: ‘le MP3 est mort, vive l’URL?’”

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Il manquait un événement qui réunisse la nouvelle génération des acteurs de l’innovation et de la musique autour d’une même table. C’est chose faite avec Music Net.Works, un rendez-vous qui ambitionne de faire avancer le débat en rassemblant des intervenants pertinents devant un public divers issu des deux mondes. L’adoption de formats qui se veulent innovants et des sujets volontiers provocateurs sont les conditions de réussite de cette organisation. La première édition a eu lieu lundi 21 février et la synthèse qui suit vous est offerte par Hugo Hemsellem, auteur du blog industriemusicale.com.

Hier se tenait à la Cantine (@LaCantine) la première édition des MusicNet.Works qui ambitionne mensuellement de se faire rencontrer les acteurs de l’écosystème web/musique. Pour cette première session, des intervenants de qualité ont débattu autour d’une problématique volontairement provocatrice : «Le mp3 est mort, vive l’URL ?».

Le modèle de la conférence est clair, cinq minutes de pitch par intervenant pour répondre à la problématique donnée, en privilégiant deux approches, l’approche usage et l’approche économique. Modérateur de la conférence, Aymeric Pichevin, co-fondateur du Home Sessions Club et correspondant en France du magazine Billboard, introduit avec une définition du «Cloud Computing» comme concept plus large que le concept d’URL. Ce soir l’opposition sera faite entre le mp3 (en tant que produit) et le streaming (en tant qu’accès).

Premier intervenant, Franz Tournadour (fondateur de Playlive) commence son raisonnement par une mise en abîme en rappelant que Spotify et consorts streament un fichier réel. Ce fichier réel, le mp3 (nom générique) est un fichier accessible et organisable en local. Le stream correspond donc à un mp3 connecté permettant une expérience utilisateur optimisée et complexifiée. Conséquemment, l’URL (ou le mp3 connecté) permet de sortir du paradigme de l’enregistrement que le mp3 perpétuait, et accroit l’innovation et les possibilités. Selon Franz, l’URL, contrairement au mp3 seul, permet à l’artiste de partager un univers, accroît la valeur d’usage et ouvre donc la porte à une monétisation logique. Il reprend la logique d’adoption de masse et rappelle que si 10% des internautes payent 10€ par mois pour un tel abonnement, l’industrie musicale s’en porterait mieux qu’en 2000. Ce raisonnement revient à dire qu’une forme de licence globale par les acteurs de l’innovation est une solution à long terme pour l’industrie, ce qui est pertinent mais soulève d’autres problèmes de liquidités à court terme.

Antoine El Iman (Noomiz) / Annina Svensson (Spotify)

Annina Svensson, DG de Spotify France met elle en avant le paradoxe du mp3, avec des situation parfois ironique de synchronisation impossible entre mobile et fixe. Annina va alors naturellement orienter le débat vers l’accès à la musique, et désormais définir cet accès comme une commodité. Conséquemment, et reprenant l’analyse très connue de Gerd Leonard, Music Like Water, elle déclare que la valeur est déportée vers le contenu ajouté. Spotify est donc conçu comme une plateforme, et permet aux développeurs et aux utilisateurs d’adapter le service à leurs besoins. Mais Spotify permet aussi aux marques, via du Branded Content de densifier l’expérience utilisateur, et donc permettre aux annonceurs d’adapter également la plateforme à leurs besoins. Encore une fois cette réponse très théorique et conceptuelle ne prend pas en compte les réalités économiques de certains acteurs qui ne vivent que de la création de valeur par la musique. Si la valeur économique est déportée vers le contenu ajouté, quelle redistribution pour ceux qui vivent du contenu brut, la musique ?

Yvan Boudillet, responsable du département digital business development chez EMI Music France commence par saluer (et il a bien raison) l’initiative qui réunit les créateurs et les entrepreneurs autour de l’innovation. Sa démonstration commence par le refus de rentrer dans une opposition des formats stream et mp3. Il ne faut pas rentrer dans une guerre des formats, car il n’existe plus de problèmes d’interopérablilité. Par ailleurs, Yvan préfère parler de musique connectée et enrichie avec des initiatives comme Opendisc et défini le l’URL comme un lien entre les différentes expériences. Il tient également à éviter l’opposition DRM (construire autour du mp3 par les métadonnées) vs. CRM (connaître les consommateurs et leur parler). Il en profite pour admettre que les majors expérimentent mais ne sont pas expertes sur ces sujets-là, du moins pas encore. Ce travail doit être fait en amont de la démarche de commercialisation et de production, et les métadonnées deviendront alors la clé de voute de l’écosystème de la musique. Cette intervention pleine de sens nous rappelle que les execs de majors ont aussi les mains dans le cambouis et que les solutions se trouvent le plus souvent dans l’expérimentation et l’itération. Cette importance des métadonnées démontre qu’il est primordial pour l’industrie musicale de transformer les données en informations et impérativement en connaissance. Ce process expliqué par la demi-punchline «DRM marche avec CRM» fait sens et nous permet d’identifier un premier chantier concret avant de rentrer dans des considérations presque métaphysiques de l’avenir de l’industrie musicale.

Gilles Babinet, Aymeric Pichevin, Yvan Boudillet (EMI Music France)

Antoine El Iman, fondateur de Noomiz rappelle que les utilisateurs ont envie d’ubiquité, d’exhaustivité et de découvrir/partager. Sur ces observations, pas de chiffres mais des tendances : très faible croissance du téléchargement légal, forte croissance sur le streaming et surtout sur les réseaux sociaux (80% du trafic sur Noomiz). Pour Antoine l’URL va même plus loin, puisqu’elle permet d’analyser et d’interpréter l’audience et de générer des recommandations sociales. Ces outils sont donc pertinents face au besoin des maisons de disques de détecter les nouveaux talents, puisque ces derniers représente une part croissante des revenus (+15% chaque année depuis 3 ans). C’est un reproche qu’il fait à l’industrie musicale des années 2000 qui ne s’est pas occupée des consommateurs finaux mais des intermédiaires.

Romain Becker de chez Believe Digital, a surtout mis l’accent sur le lien entre l’URL et les ayant-droit, ce format permettant d’identifier celui qui lui est rattaché directement. Une fois que l’on maitrise les contenus (piratage en baisse) et les ayant-droit, il faut considérer le web comme un média. Ce process permet selon Romain de reconstruire à travers l’URL un réel modèle économique. Encore faut-il s’assurer que l’on maitrise les contenus, chose peu aisée étant donnés les usages ancrés de piratage. La théorie avancé par Romain Becker sous-tend à juste titre qu’un écosystème à besoin de fondations solides (process, organisation, standards) pour pouvoir innover. Dans le cas de l’industrie musicale, les process ne sont pas encore complètement industrialisés, la transparence de l’information est multilatéralement faible, et les standards encore balbutiants. Il reste donc encore énormément de travail pour solidifier cet écosystème et «reconstruire à travers l’URL un réel modèle économique».

Laurent Bizot, DG du label No Format présente la vie d’un label. Il rappelle l’importance de la création, et chiffre concrètement ses arguments. Un album c’est deux ans de gestation, et en moyenne 20 000 euros d’investissement pour un producteur. Un label comme No Format reverse à l’artiste de 30 à 65% des revenus générés par la vente d’un CD, et a besoin de vendre autour de 7000 albums digitaux pour arriver à l’équilibre, alors qu’il lui faut 222 millions d’écoutes sur Spotify pour le même résultat. La situation décrite est connue, mais à le mérite de mettre en exergue le paradoxe que connait l’industrie musicale dans sa gestion de l’innovation. Laurent Bizot utilise et apprécie Spotify, c’est pour lui la meilleure expérience utilisateur pour consommer la musique, mais il pense chaque jour à retirer son catalogue du site suédois pour simplement survivre. Même s’il se rend compte que c’est l’avenir, cette solution n’est pas monétisable pour la création à court terme. En ouverture il demande aux FAI et aux sites de streaming de soutenir la création sous forme de taxe, ou de contrepartie (Spotify qui donne les données relatives aux écoutes).

Le panel

Gilles Babinet, serial entrepreneur web/musique provoque d’entrée : «fuck the format?». Il propose de se recentrer sur les usages de la musique, comme lorsqu’il a créé Musiwave et compris que les jeunes voulaient des sonneries Hi-Fi. Cette réflexion qui peut créer du sens et de l’argent doit être au coeur de la réflexion. Les 8-12 ans, sur des sites de partage de vidéos comme Youtube ou Dailymotion, regardent la musique à plus de 50%, et c’est à partir d’un constat comme celui-ci que l’on peut donner des réponses pertinentes selon Gilles. Quant au financement de la création ? Il est cyclique et à connu le mécénat pour aller vers le financement participatif. Pour l’instant la priorité est de gagner en nombre d’entité qui peuvent pousser et promouvoir la musique, et surtout de développer des interfaces utilisateurs ultra simplifiées. Pour autant le nombre d’entité dans cet écosystème (il commence à y avoir pas mal d’acteurs) est intéressant mais leurs impacts potentiels respectifs ne semblent pas suffire à transformer la valeur d’usage en valeur économique, ce qui est impactant pour les petites entités.

Philippe Cohen Solal, de Gotan Project est auteur, artiste et producteur. Pour le mot de la fin il raconte son histoire d’amour avec le vinyle et son désamour pour le mp3. Donc il a un regard assez détaché sur la mort possible de ce format et se demande surtout comment l’industrie peut gagner de l’argent. Il va tenter l’analogie avec l’apparition de la radio libre perçue alors comme une menace pour les maisons de disques, puisque elle permettait l’écoute continue de musique en haute qualité. L’URL va-t-elle devenir la radio du mp3 ?

Sur ces pitchs d’intervenants, les problématiques économiques n’ont été que trop peu abordées, et le sont dans la seconde partie : le débat, «Quelle formes de monétisations pour la musique ?»

Annina Svensson ne veut pas oublier la création, sans laquelle une initiative comme Spotify n’aurait pas de sens. L’exhaustivité du catalogue détermine la valeur de l’offre de Spotify, et même si les labels peuvent percevoir le site de streaming suédois comme une menace, elle leur demande un peu candidement de faire un «Leap of faith» et de croire à long terme à ce modèle. Yvan Boudillet envisage des modèles coexistants et rappelle que le streaming est un relais de croissance pour le mp3 (Deezer 1er affilié d’iTunes, etc.). De plus l’identification de valeur sur le streaming est complexe puisqu’elle fluctue en fonction de l’utilisateur. Sur iTunes, le prisme du prix peut être animé ce qui est plus difficile sur une logique cross-plateforme. Et ce prisme du prix peut permettre un relais de croissance pour le back catalogue en créant des promotions croisées entre les nouveaux artistes et les artistes dont ils se réclament. Lors de ce débat il sera aussi rappelé que l’iTunes-dépendance existe encore, mais qu’elle empêche le paradigme de la longue traine d’être validé. Ainsi sur le streaming les abonnés payants à Spotify valident ce paradigme et écoutent beaucoup plus de musique indépendante que les utilisateurs de la version gratuite.

Philippe Cohen-Solal (Gotan Project), Annina Svensson, Franz Tournadour (Playlive), Gilles Babinet, Aymeric Pichevin

Pourtant dans ce débat parfois assez consensuel les questions pratiques ne sont pas abordées. Les problématiques de financement de cet écart de trésorerie entre un business model concentrique autour du disque et un business multicentrique autour de l’artiste sont évitées. Et pour cause, les principales pistes de financement impliquent que la musique ne soit plus monétisée directement, mais serve de produit d’appel pour d’autres industries. Si les notions de «Branded Content», de «Social Gaming» et d’abonnement téléphoniques sont uniquement avancées quand on parle monétisation, le risque pour les créateurs et les producteurs de devenir dépendant de ces acteurs devient important.

Du coté des questions, elles sont restées plutôt génériques, avec un décalage réel entre les attentes du public et les réponses des panélistes. En témoigne une intervention d’un artiste vraisemblablement irrité par la tournure quasi exclusivement business qu’a pris la conférence, qui s’en est pris principalement à Annina Svensson, DG de Spotify France, et à son incapacité à répondre concrètement à des questions de monétisation de la création. Sur Twitter, de nombreux participants attendaient une question sur la licence globale, mais sans revendications précises. Cette bataille date un peu et semble être obsolète face à la configuration actuelle des acteurs (entrepreneurs et créateurs) autour de la gestion de l’innovation.

En résumé une très bonne première édition d’un rendez-vous que les acteurs attendent désormais mensuellement, et qui sera également attendu par le public avec de nombreuses questions on l’espère les plus constructives possibles. On imagine et espère des prochaines éditions plus spécifiques avec des sujets précis et des intervenants tout aussi pertinents.

Retrouvez ci-dessous le débat en vidéo:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Illustrations CC FlickR: Ophelia Noor et Silicon Maniacs

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http://owni.fr/2011/02/26/music-net-works-yes-we-can/feed/ 22
Les 10 péchés capitaux des entrepreneurs web français http://owni.fr/2010/11/11/les-10-peches-capitaux-des-entrepreneurs-web-francais/ http://owni.fr/2010/11/11/les-10-peches-capitaux-des-entrepreneurs-web-francais/#comments Thu, 11 Nov 2010 12:08:01 +0000 Robert Scoble (trad. Martin Untersinger) http://owni.fr/?p=35315 Robert Scoble est un blogueur et “évangéliste technologique” américain réputé. Ce billet a été publié en décembre 2009 sur son blog.

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Mardi dernier, j’ai rejoint les Travelling Geeks (une bande de journalistes/blogueurs/influenceurs qui visite des startups partout dans le monde, cf. la photo ci-dessous dans une station de métro parisienne) à Paris et nous avons vu un tas de startups. Certaines, comme Stribe, étaient très bien. Mais dans l’ensemble, elles n’étaient pas à la hauteur. Du coup, j’en ai presque été brutal et malpoli, ce qui a pris tout le monde de court. Depuis, je n’ai cessé de me demander ce qui m’avait tant énervé, et c’est le sujet de cet article.

Premièrement, si vous rencontrez des journalistes, des influenceurs et des blogueurs qui ne viennent pas de votre pays, je suppose que c’est parce que vous voulez construire une marque mondiale. Après tout, si vous voulez faire quelque chose de grand seulement en France, pourquoi perdre votre temps avec des journalistes américains ?

De fait, puisque vous nous rencontriez et qu’il nous en a beaucoup couté de venir jusqu’à vous et que nous avons eu de très grands coûts d’opportunités, je pense que les entrepreneurs devraient être bien mieux préparés. Dans ce cas, vous allez pouvoir apprendre de leurs erreurs.

1 – Vous n’êtes pas sur Twitter

C’est une ÉNORME erreur que beaucoup de PDG français ont commis. Quatre d’entre eux m’ont dit que leurs boites n’étaient pas sur Twitter parce qu’il n’avait pas assez de temps pour ça. Ça m’a mis en colère.

Pourquoi ? Parce que dans la pièce, il y avait des gens avec des centaines de milliers de followers (pas seulement moi). Si vous n’êtes pas sur Twitter, je ne peux pas vous suivre, je ne peux pas vous relancer après notre rencontre, je ne peux pas revenir vers vous avec des questions. C’est complètement rédhibitoire. Mais il y a pire. Toute la presse technologique mondiale est sur Twitter, donc si vous dites que vous n’avez pas de temps à y consacrer, vous dites tout simplement à 500 journalistes spécialisés dans les nouvelles technologiques qui SONT sur Twitter que vous n’avez pas de temps à leur consacrer. Ensuite, ils vous répondront qu’eux non plus n’ont pas de temps pour vous.

Mais il y a encore pire. J’ai une liste de 500 startups techno, et une liste séparée de 400 entreprises un peu plus vieilles (je vais bientôt devoir faire une nouvelle liste, Twitter nous limite à 500 comptes par liste, et je connais déjà un paquet d’autres startups). Ce sont les entreprises que vous devriez surveiller, et pourquoi pas vous y associer. Si vous les observez, vous aurez pas mal d’indices sur la manière dont les autres entreprises travaillent avec les influenceurs, créent du buzz (et vous serez le premier à voir quand les autres boites ont une info, ça vous aidera à discuter avec les journalistes).

Heureusement, j’ai trouvé 500 fondateurs de startups qui considèrent que Twitter est important. D’ailleurs, pourquoi c’est si important ? Et bien cela doit avoir quelque chose à voir avec les 422 capital risqueurs et business angels qui sont sur Twitter, ou les centaines de cadres d’entreprises techno (ce sont vos possibilités de sortie !) qui y sont aussi. Au fait, quand j’ai rembarré les entrepreneurs assis à côté de moi, un PDG m’a soufflé dans l’oreille “je suis d’accord”. Qui était ce PDG ? Kamel Zeroual, PDG de Stribe ? Qu’est-ce que c’est que Stribe ? L’entreprise français qui a triomphé à la conférence LeWeb, la plus importante conférence indépendante sur le web. Lui et son entreprise faisaient partie de la minorité qui était sur Twitter.

2a – Vous avez des éléments de marketing ridicules et anémiques

Avant tout, si vous voulez vraiment avoir l’air ridicule devant le gotha des journalistes technos, merci d’utiliser Powerpoint. Ça nous a littéralement endormi. C’était incroyable de voir à quel point certains entrepreneurs étaient mauvais dans ce domaine. Si vous avez besoin de partager des informations avec nous, utilisez Google Doc. NE NOUS ENVOYEZ PAS de documents Word ou des Powerpoints. Pourquoi ? Certains d’entre nous n’ont même plus Word sur leur ordinateur, ou ont une boîte au lettre pleine à craquer (je connais des journalistes qui ont réussi à remplir totalement leur compte Gmail, par exemple).

Nous sommes également de plus en plus nombreux à ne plus travailler que depuis nos smartphones, et c’est bien mieux d’avoir de la documentation “dans le nuage”. Enfin, les documents doivent comprendre un lien vers votre site, un lien vers votre compte Twitter (vous ÊTES sur Twitter, pas vrai ?), un lien vers vos pages Facebook (vous vous coupez de 500 millions personnes ? Vous êtes complétement taré ?), des copies d’écrans de vos meilleures fonctionnalités, le logo de votre boîte dans plusieurs tailles différentes (pour nous permettre de les copier/coller dans nos articles), et le contact de TOUS vos cadres principaux.

2b – Vous ne mettez pas de vidéo de votre produit sur YouTube

Regardez la vidéo de Sketch Nation, le gagnant du concours Appsfire. ÇA L’A AIDÉ À GAGNER (j’étais un des juré, voici la liste de tous les gagnants, et voici la vidéo de l’annonce des prix). Si je n’avais pas vu cette vidéo, je ne me serais jamais rendu compte à quel point cette application est cool. (Notez que Sketch Nation est à la fois sur Twitter et sur YouTube).

3 Vous ne faites pas de démo

Une entreprise nous a parlé de ses robots, mais n’en a amené aucun pour sa présentation. Se farcir des présentations Powerpoint n’est pas acceptable aujourd’hui. Faites une démonstrtation. Regardez ce qu’a fait le PDG de Pearltrees (une startup française). Oh, et Pearltrees est sur Twitter. Ainsi que son PDG. Vous vous demandez encore pourquoi Pearltrees est passé sur CNN aujourd’hui ?

4a – Vous ne vous souciez pas des champs de bataille industriels

Si vous lisez des sites sur les nouvelles technologiques ou leurs actualités, ou même mieux, si vous suivez Techmeme, vous verrez qu’un certain nombre de thèmes reviennent souvent. Je les appelle des champs de bataille. Si vous débarquez avec un super produit sur un champ de bataille, vous allez être remarqué. Quelques uns des champs de batailles actuels ? Mobile. Temps réel. Vidéo HD. Nouveaux systèmes de paiement. Etc. Si votre produit ne correspond à aucun champ de bataille, vous feriez mieux de vous en expliquer, et de nous dire pourquoi toute la presse technologique devrait considérer votre entreprise comme un nouveau champ de bataille.

4b – Vous ne vous souciez pas de vos concurrents, ou mieux, vous n’en avez pas du tout

Ecoutez comment le PDG de Deezer, Jonathan Benassayas a considéré Spotify (son concurrent) sur scène à la conférence LeWeb. Deezer connait bien la concurrence, et s’est très bien positionné : vous demandez pourquoi il a 18 millions de visiteurs uniques mensuels et n’est pas encore très connu aux États-Unis ? Celui qui dit qu’il n’a pas de concurrence passe automatiquement pour un loser selon moi (voir mon point 4a).

5 – Vous ne savez rien de la dernière app ou actu de la journée

Si je vous demande ce que vous pensez de Foursquare, Red Laser (l’app iPhone n° 1) ou Gowalla (ils viennent de lever 8 millions de dollars) et que vous me répondez “je ne sais pas”, vous êtes automatiquement rangé dans la case de ceux qui ne se soucient pas de l’industrie et qui ne recherchent pas de nouvelles idées bonnes à prendre. Je n’arrête pas d’entendre ça de la part d’entrepreneurs français, et ça m’a rendu furieux. Désolé, nous sommes en 2009. Si vous n’êtes pas sur Twitter vous êtes ridicule. Point final. Si vous n’avez pas utilisé Foursquare et que vous n’avez pas d’explication sensée pour expliquer si vous l’aimez ou pas, vous êtes ridicule. Point barre.

6 – Vous n’adaptez pas vos pitchs à vos interlocuteurs

Si vous parlez à Mike Arrington, le fondateur de TechCrunch, ou Dana Oshiro, qui écrit pour ReadWriteWeb, ne lisez surtout pas tout ce qu’ils ont mis sur leurs blogs une semaine avant. C’était une des techniques utilisées par les entrepreneurs. Ça ne marche jamais de toute façon !

(Plus sérieusement, demandez à Brian Solis comment il fait. Ou Jeremy Toeman, qui a aidé beaucoup d’entreprises à gagner au CES et a faire des tonnes de très bonnes RP. Les meilleures entreprises font TOUJOURS un pitch personnalisé).

7 – Vous n’amenez pas de cartes de visite

Pire, vous ne mentionnez pas votre email et votre compte Twitter sur ces cartes. J’imagine que vous pensez que nous n’aurons pas envie d’utiliser vos produits ou de vous poser des questions une fois de retour dans notre chambre d’hôtel, pas vrai ?

Les meilleurs PDGs me donnent également leurs adresses Google Talk et Skype. C’est assez incroyable à quel point j’ai parfois besoin d’infos au beau milieu de la nuit. Même maintenant, il est 9h du soir et si je devais écrire sur votre boîte, j’aurais certainement besoin d’infos supplémentaires. Mike Arrington appelle souvent des dirigeants à minuit pour compléter ses articles (je l’ai vu faire, et ça finit toujours par un meilleur article).

8 – Vous ne visitez pas les États-Unis pour rencontrer des blogueurs et des journalistes.

Comment ai-je rencontré Patrice Lamothe, PDG de Pearltrees ? À San Francisco. Est-ce que ça a payé ? Il est sur CNN aujourd’hui et nous avons eu une super conversation sur la scène de LeWeb (visionnée par des milliers de personnes dans le public et des dizaines de milliers de personnes en ligne).

Bref, voilà certaines des erreurs commises par les entrepreneurs français que j’ai pu rencontrer. Bien sûr, ils ne sont pas les seuls à faire ce genre d’erreur, mais c’est leur semaine puisque la grande conférence LeWeb vient de s’achever [elle aura lieu les 8 et 9 décembre prochain, NdT].

Bien sûr, peut-être parce le jeu est biaisé pour les entrepreneurs français. Quand le PDG de Deezer a expliqué sur le scène de LeWeb qu’il avait déjà plus de 18 millions de visiteurs uniques mensuels, je lui ai demandé “pourquoi je n’ai jamais entendu parler de vous alors ?”. Il a répondu “parce que nous sommes français”. J’aurais du lui répondre “non, c’est parce que votre fil twitter est en français”.

Vous pensez à d’autres erreurs que les entrepreneurs font en essayant de construire une marque globale ? Laissez un commentaire ci-dessous !

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Billet initialement publié sur le blog de Robert Scoble.

Traduction Martin U.

Illustration FlickR CC : Adam Foster | Codefor

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http://owni.fr/2010/11/11/les-10-peches-capitaux-des-entrepreneurs-web-francais/feed/ 34
CIR : Bad news from the stars… http://owni.fr/2010/11/11/cir-bad-news-from-the-stars%e2%80%a6/ http://owni.fr/2010/11/11/cir-bad-news-from-the-stars%e2%80%a6/#comments Thu, 11 Nov 2010 07:30:10 +0000 Jean Michel Planche http://owni.fr/?p=35213

Il se trouve que, par le plus grand des hasards, j’étais à trente mètres de l’Assemblée Nationale, hier soir (billet publié le 21 octobre, ndlr), en compagnie de deux députés, alors que le sujet du CIR (Crédit d’impôt recherche) allait être raboté, pardon tranché.

Notre sujet du moment n’était pas celui là, mais j’ai apprécié l’opportunité qui m’était donnée d’être présent dans l’hémicycle, alors que des choses importantes se discutaient en prise directe avec l’avenir de nos sociétés et plus particulièrement, pardonnez mon égoïsme : avec « la mienne ».

L’avenir de nos sociétés ?

Diantre… Vous allez me dire que j’y vais fort.  Exagéré pour une mesure fiscale, non ?
Si l’avenir de nos sociétés est en danger, par une « même pas » disparition de la mesure, c’est peut-être que lesdites sociétés ne sont pas bien préparées et ne se développent pas sur de bons fondamentaux. (cela s’appelle dans le jargon de nos politiques « profiter de l’effet d’aubaine »)

Pour mieux comprendre, revenons à quelques idées simples, vues de ma fenêtre d’entrepreneur « de la chose numérique ». Je ne prétends pas détenir la vérité, être plus « intelligent » que toutes ces personnes qui se sont penchées sur le sujet. Je souhaite juste vous livrer la vision de quelqu’un qui subit depuis de nombreuses années « d’entreprenariat » des coups de frein venant de l’environnement économique, mais parfois aussi, avec surprise, de véritables aides. Je voudrais juste vous faire partager ma vision d’entrepreneur, légèrement concerné par le problème d’entreprendre en France ou plutôt depuis la France.

Avant de démarrer, quelques informations : je dois en être à ma troisième société « d’un peu de tenue » (et cinquième activité) créée en un peu plus de vingt ans. Cela représente quelques centaines d’emplois et beaucoup, beaucoup d’argent payé en impôts, taxes diverses, ISF, plus-values de toutes sortes. Lorsque je dis beaucoup d’argent, je parle de sommes avec sept zéros et en euro. Cela peut paraître modeste pour ceux qui côtoient fréquemment « les grands groupes »… mais à mon échelle je trouve que ce n’est pas si mal. Disant cela, je ne le regrette pas, c’est aussi une fierté d’avoir pu le faire.
Mon objectif n’est pas non plus de râler et me plaindre surtout dans le climat actuel et jeter l’hallali sur des « politiques qui n’y comprennent décidément rien ».

Mais ce n’est pas pour autant que je peux me taire, approuver la conclusion et dire merci.
Si personne ne dit jamais rien, les mêmes causes reproduiront les mêmes effets et jamais les choses ne changeront, car l’histoire bégaye. Vous le savez maintenant, depuis le temps que je l’écris

Juste pour comprendre, commençons par expliquer le CIR. Il s’agit de l’abréviation du Crédit Impôt Recherche, qui n’est pas, à proprement parlé, une mesure nouvelle. (donc ce n’est pas encore de la faute de Sarko… )
Elle date de 1983, améliorée (sic) en 2004, modifiée (sic) en 2008 et à nouveau modifiée en 2010.

Que permet cette mesure ?

Vous le lirez plus précisément sur le site du ministère des finances, mais il faut savoir que pour les petites et moyennes entreprises, du secteur que je connais le mieux (le numérique), elle permet de diminuer de sa base imposable une partie de ses efforts de recherche. Nos « startups » ont une activité généralement fortement consommatrice de ressources humaines. Donc pouvoir déduire de ses impôts (sur les bénéfices), 75% des frais des collaborateurs affectés à la recherche, est ÉVIDEMMENT TRÈS INTÉRESSANT (je passe les détails avec le reste, car pour une PME, c’est à la marge).

Le seul problème est qu’habituellement, une startup… NE FAIT PAS DE BÉNÉFICE et même génère de la perte pendant un certain nombre d’années. En ce qui nous concerne, nous avons lourdement investi (de l’ordre de 14 millions d’euros), pendant de nombreuses années, pour passer le cap de la rentabilité … un peu plus de six ans (six ans !!) après notre création.

En clair… cette mesure est intéressante mais… INUTILE pour de nombreuses sociétés de notre secteur car… elles ne pouvaient pas faire grand-chose de ce « crédit d’impôt ». On avait bien la possibilité de se le faire rembourser sous trois ans, de le mobiliser et de se le faire financer, mais tout cela était compliqué, coûteux et hors de portée de la plupart de nos PME innovantes.
Aussi, le législateur, dans sa grande sagesse a modifié la loi en 2004 et 2008. Comprenant la différence entre les grands groupes, pour qui ces mesures semblaient avoir été écrites et les PME, qui développent une activité « from scratch », le législateur a permis de se voir REMBOURSER une partie de ce crédit d’impôt. Remboursé RAPIDEMENT !

Là… cela devient évidemment beaucoup plus intéressant et FORTEMENT INCITATIF à développer de l’emploi en France et à croire en la maison France. Là cela ne devient plus seulement une mesure d’optimisation fiscale (lire orientation fiscale)… c’est véritablement un outil de pilotage à moyen terme qui donne un signal clair et net… maintenons, développons de l’emploi qualifié, à forte valeur ajoutée en France : « Messieurs les entrepreneurs, aidez-nous, vous aussi à retenir les talents, car il n’y a pas que dans la Silicon Valley ou en Chine qu’ils peuvent s’exprimer. Prenez des risques, voyez à moyen et long terme et ne pensez pas qu’à votre compte de résultat à court terme. »

Quand je dis fortement incitatif… Je dois préciser pour éviter d’avoir des commentaires nous traitant de nantis, que cette mesure ne fait que corriger en partie le problème du coût du travail en France et tente d’éviter des délocalisations catastrophiques de matière grise… et de travail in fine. En effet, dans mon secteur, on ne compte plus les sociétés qui n’ont plus de R&D en France et qui sous-traitent dans les pays de l’Est, en Inde… pour évidement payer moins cher et rester compétitif… voir tout simplement rester en vie…

Une bonne mesure

Le CIR est une bonne mesure pour les entrepreneurs qui jouent le jeu. C’est même une mesure qui permet au pays France, malgré certains handicaps rédhibitoires de retrouver une compétitivité. À la marge, cela permet de tenter d’expliquer à nos investisseurs étrangers que notre choix politique de maintenir « à tout prix » (jeu de mot) une masse salariale importante en France n’est pas qu’anti-économique. En effet, un ingénieur qualifié ici va coûter de l’ordre de quatre à huit fois plus cher qu’ailleurs, à structure d’encadrement identique. En fait indépendemant du coût, la véritable raison est que nous avons ici des gens d’un talent incroyable, qui travaillent beaucoup mieux lorsqu’ils sont à proximité physique de la maison mère et non « déportés »/isolés dans je ne sais quel paradis avec plus ou moins de soleil.

Mais très concrètement, le CIR et le fait d’avoir un REMBOURSEMENT direct, de la part de l’État est une mesure qui outre le fait d’améliorer significativement votre résultat comptable (en ce qui nous concerne, nous passons d’un REX (résultat opérationnel) de 3% à un résultat net comptable de 13% grâce au CIR… améliore de façon très significative votre trésorerie. Je suppose que chacun le sait, la trésorerie est le nerf de la guerre pour (la plupart) les entreprises. En effet, l’un des problèmes des startups est leur BFR (Besoin en Fonds de Roulement). Nos sociétés sont caractérisées par de lourds investissements, une croissance non naturelle du chiffre d’affaires (à deux chiffres, voire trois) et donc… des tensions de trésorerie normales, que nous tendons à compenser par :

  • Un haut de bilan suffisamment musclé… et donc une exposition au risque et à la dilution qui peuvent prendre des proportions inquiétantes pour les entrepreneurs. Quand bien même, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et il n’y a guère qu’aux États-Unis ou en Asie où l’on peut voir des investisseurs qui investissent VRAIMENT dans les entreprises pour les doper… parfois un peu trop d’ailleurs.
  • Un bas de bilan fort… et ici, les principaux acteurs sont… les banques. Les banques doivent alors remettre de l’argent dans le dispositif et je vais peut-être vous apprendre quelque chose, mais ce n’est pas tout à fait naturel (lire facile) pour elles (ça ne l’a jamais été), surtout dans le contexte actuel. Qui plus est pour un public de « startups », dont le profil de risque n’est pas forcément le plus rentable à court terme pour elles. C’est d’ailleurs pour cela que d’autres mesures existent, grâce au concours d’OSEO et du Grand Emprunt… Je ne m’attarde pas, mais MERCI aussi pour cela, car c’est véritablement utile. Espérons que les Cassandre ne crieront pas trop vite au scandale.

Une mesure « rabotée »

La fête est finie, comme semblent le penser certains que j’ai pu entendre à l’Assemblée hier. Face au serrage de ceinture généralisé, face aux abus supposés ou vérifiés, des grands, des petits, des moyens… il a été décidé le rabotage et des modifications de règle du jeu qui ne me semblent pas de la meilleure intelligence et ceci malgré :

Je vous laisse tout découvrir, je ne vais rien commenter, mon billet est déjà trop long. Inutile de renchérir sur l’intérêt économique avéré du CIR, ni pourquoi nous sommes arrivés à une situation où le gouvernement dans son ensemble va à l’encontre de son intime conviction et demande même à un député de retirer ses amendements qui le défend. Député qui l’accepte pour sans doute éviter la honte de voir la majorité unie à l’opposition voter contre une mesure qu’il sent bien comme utile à défaut d’être indispensable.

Je mentionnerais juste la classe et le talent de Madame Lagarde, d’expliquer en séance qu’elle n’aimait pas ce projet (du raboteur, pardon, rapporteur : Monsieur Carrez), mais qu’elle voterait quand même pour.

Est-ce grave ?

Oui… et non, bien sûr. Bien sûr que l’on s’en remettra. Bien sûr que cela ne fait pas plaisir, mais dans le contexte d’austérité, on peut comprendre. On comprend moins quand on voit ce que le gouvernement va dépenser en foutaise… et on peut s’énerver quelque part…

Dans notre cas ce n’est pas FONDAMENTAL, nous n’allons pas mourir. Mais rapidement évaluée, l’incidence sera de quelques emplois (quatre à cinq) que nous ne créerons pas. À l’échelle de toutes les sociétés du numérique, je ne dirais pas du tout la même chose. Tous ces emplois, tout ce potentiel « rentré », cela risque de faire beaucoup d’emplois conditionnés. Conditionnés à une meilleure visibilité, conditionnés à la crainte de voir revenir le rabot et de supprimer progressivement cette mesure.

Ou plutôt de la voir sournoisement transformée au bénéfice de « l’industrie »… qui semble particulièrement bien traitée. Et oui… le rapporteur a eu le bon goût de nous faire passer la pilule en disant que la baisse de 75% à 50% des charges « humaines » de recherche allait largement être compensées par la prise en compte de 75% de l’outil industriel, nécessaire à ces mêmes travaux de recherche. Je vois bien ce dont il parle pour un groupe comme Renault, Sanofi… beaucoup moins bien déjà pour le secteur du numérique qui m’intéresse et dont je fais partie. Heureusement dans notre cas, nous avons besoin de beaucoup de matériel… mais c’est toujours sans commune mesure avec les charges salariales… qui est quand même ce qu’il faut favoriser, sauf erreur de ma part.

Les aigris peuvent être heureux

Ils ont gagné.
À trop expliquer que le CIR était une aberration car pour l’essentiel capté par les grands groupes, tout le monde à trinqué. Je ne parle même pas des irresponsables (je pèse mes mots) qui ont parlé « d’escroquerie aux fonds publics ».  Ne les oublions pas… surtout lorsque ces mêmes personnes viendront dans nos entreprises chercher des débouchés et du travail. Et même à 200% de subvention le jeune doctorant… la pilule a du mal à passer !

J’ai le sentiment désagréable d’être le dindon d’une farce que je n’aime pas. Aurais-je dû tricher, comme les autres, pour en « profiter » au maximum ?

Mais bon sang ! De quoi parle-t-on : de la création d’emplois hautement stratégiques et de la réussite de nombreuses sociétés en France ! Pas de se mettre de l’argent dans la poche et de gonfler artificiellement nos résultats.

Que le système ait été dévoyé par certains, je peux le comprendre, à défaut de l’admettre. De là à tout ramener à « la recherche » et à l’industrie, il y a un monde. Le mot « recherche » sonnait mal hier soir dans l’hémicycle. J’imaginais des gars en blouse blanche, travaillant autour de cyclotrons, focalisés sur la création de valeur et le leadership de la France au niveau international avant 62 ans… Je plaisante pour tenter de retrouver le sourire, car les chercheurs et surtout les physiciens … je les aime.
Le véritable sujet qui aurait dû nous animer tous est celui de CRÉER et MAINTENIR des COMPÉTENCES et des EMPLOIS hautement qualifiés en France qui sinon seront aspirés par… les sociétés nord-américaines bien connues. Sociétés qui déjà ont bien branché leurs tuyaux sur nos centres et nos écoles…

Pourquoi toujours travailler par incrément, mesurette sur mesurette et en finir pas tellement distordre la réalité que l’on se demande si nos députés ont une véritable vision de ce qu’il se passe sur le terrain ?

Très mauvais signal

Je l’ai dit… la clé est la CONFIANCE… et la confiance est fortement émoussée. On l’a dit, les entreprises ont besoin d’un cadre législatif, fiscal suffisamment stable pour pouvoir s’inscrire dans la durée. Nous savons nous adapter, bien sûr… mais les choses sont assez difficiles pour ne pas en rajouter. Qu’il faille faire des économies, j’en conviens… Mais la redistribution des cartes du tertiaire au profit du secondaire est un leurre et une fausse bonne idée, sur laquelle nous reviendrons, j’en suis certain. Encore des occasions manquées, encore des difficultés pour les entrepreneurs français et encore un frein à une croissance qu’il nous faut absolument conquérir, coûte que coûte.

C’est ensuite une erreur de communication, qui vient juste alors que le statut des Jeunes Entreprises Innovantes vient lui aussi d’être raboté.

Messieurs les politiques, vous ne pouvez pas ignorer d’où vient le dynamisme de notre pays. Laure de la Raudière, dans son intervention a rappelé le poids et le rôle du « numérique ». Ne cassez pas une dynamique qui tente de refonctionner après avoir été en crise grave et profonde tous les quatre ans depuis vingt ans !

Le numérique (avec l’artisanat) est l’endroit où il peut s’exprimer le plus de talents, où la croissance peut être la plus rapide car… les barrières à l’entrée sont les plus faibles. Le talent, l’intuition, un bon réseau de relation peuvent suffire parfois à faire des Google, des Amazon… mais aussi des Oléane par le passé, des Free, des Meetic, des vente-privee.com… etc.

Je l’ai dit, on ne peut pas jouer les uns contre les autres. Le sujet n’est pas de vouloir « punir » les grands groupes qui auraient abusé, le secteur des banques et de l’assurance qui auraient capté une part « indue » du dispositif, comme je l’ai entendu. Le sujet est d’avoir une dynamique POSITIVE et de faire travailler le pays ensemble, en développant un savoir faire national, une envie de réussite commune. Je peux rêver, mais ON A TOUT DANS NOTRE PAYS… sauf la volonté de travailler ENSEMBLE pour réussir, qui est la seule clé pour faire quelque chose de grand.

Arrêtons de tout casser, parce que les soutiers dans la cale ont mal aux mains à force de ramer à contre-courant.

Mise à jour :

  • tout d’abord, toute cette affaire permet de mettre à jour la définition du verbe raboter, qui revient sur le devant de la scène : c’est ici
  • ensuite, il n’y a pas que moi qui la trouve fort de café… notre secteur commence à se mobiliser, mais malheureusement trop tard. Il y a quelques semaines, je sentais que cela ne sentait pas bon… intuitivement (n’est-ce pas Laure ?). Mais impossible de faire grand-chose, la messe était déjà dite.
  • et puis surtout… la vidéo, rien que pour vous, des « évènements ». Visionnez et en dix minutes, je pense que vous aurez tout compris, si vous n’avez pas eu le temps de me lire.

Billet initialement publié sur Never give up !

Le Petit Poulailler bitzcelt et stevendepolo

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http://owni.fr/2010/11/11/cir-bad-news-from-the-stars%e2%80%a6/feed/ 2
Internet, source de l’exploitation capitaliste ? http://owni.fr/2010/03/11/internet-source-de-lexploitation-capitaliste/ http://owni.fr/2010/03/11/internet-source-de-lexploitation-capitaliste/#comments Thu, 11 Mar 2010 08:55:12 +0000 Arno http://owni.fr/?p=9797 scarabe

La soucoupe accueille Arno, auteur du Scarabée, vieux de la vieille du web français (1996 !). Dans ce billet, il exprime son désaccord avec le théoricien des médias Matteo Pas­qui­nelli, qui a récemment expliqué sa thèse dans une interview d’Écrans intitulée « Nous n’exploitons pas le réseau, c’est le réseau qui nous exploite ».

Écrans, dans Libé­ration, a publié mer­credi une interview de Matteo Pas­qui­nelli, « théo­ricien des médias », titrée « Nous n’exploitons pas le réseau, c’est le réseau qui nous exploite ».

L’interview est censée illustrer un article de Marie Lechner, « Effet de serfs sur la Toile ». L’article pose la question :

Internet serait-​​il en train de devenir la matrice d’un nouveau système féodal, où une poignée de grands sei­gneurs exploitent des légions de serfs ? Et non cette société de pairs tant célébrée ?

L’argumentaire se contente de répéter un article de Pierre Lazuly publié en août 2006 par le Monde diplo­ma­tique : « Télé­travail à prix bradés sur Internet ». Mais là où l’ami Lazuly pré­sentait un phé­nomène alors peu connu et se contentait de conclu­sions sur ce phé­nomène spé­ci­fique, l’article d’Écrans extrapole sur la dénon­ciation d’un « mythe » de l’internet (« cette société de pairs tant célébrée » — mais qui a réel­lement célébré cela ?) en se basant non sur une démons­tration, mais sur des extraits d’une unique interview avec Matteo Pasquinelli.

Simi­lai­rement, l’économie du parasite imma­tériel n’est pas basée sur l’exploitation directe ou l’extorsion, mais sur la rente, estime le théo­ricien. La rente serait le nouveau modèle écono­mique dominant du capi­ta­lisme cog­nitif et d’Internet. Pour sché­ma­tiser, le profit est le revenu obtenu par la vente de biens ; la rente, le revenu fourni par l’exploitation mono­po­lis­tique d’espaces.

Or, cette « inno­vation » concep­tuelle n’a rien de nouveau, malgré l’omniprésence, paraît-​​il, des mythes égali­taires de l’internet. Mais qui sou­tenait ces mythes, sinon Libé­ration en 1999-​​2000 ? C’est exac­tement ce que nous disions, dans notre « tir de barrage » col­lectif (à l’époque : uZine, le Sca­rabée, les Chro­niques du menteur, l’Ornitho, Péri­phéries). Voir par exemple mon billet intitulé « Au secours, mon fils entre­pre­naute est en train de se noyer ! » (mai 2000) :

On trouve tou­jours autant d’articles dans la presse pour pré­senter ces concepts nova­teurs, révo­lu­tion­naires. Pourquoi ne pas dire tout sim­plement qu’on veut accé­lérer l’établissement du néo­libéralisme et mar­chan­diser ce bien public qu’est le savoir ? Pourquoi ne pas le dire sim­plement : nous allons pri­va­tiser et raréfier ce bien public, et établir des mono­poles de l’information ?

Tout le monde sait que le déve­lop­pement du réseau ne s’est pas fait de manière magique, indé­pen­dante du monde phy­sique. On sait depuis les années 1990 que la mas­si­fi­cation des accès est lar­gement liée à des intérêts de déve­lop­pement capitaliste.

Même parmi les grands anciens du Web français, il n’y a jamais eu de naïveté sur ce point. Ainsi Laurent Chemla publiait-​​il ses « Confes­sions d’un voleur » en 2002 :

Je suis un voleur. Je vends des noms de domaine. Je gagne beaucoup d’argent en vendant à un public qui n’y com­prend rien une simple mani­pu­lation infor­ma­tique qui consiste à ajouter une ligne dans une base de données. Et je vais gagner bien davantage encore quand, la pénurie arti­fi­cielle ayant atteint son but, le com­merce mondial décidera d’ouvrir quelques nou­veaux TLD qui atti­reront tous ceux qui ont raté le virage du .com et qui ne vou­dront pas rater le virage suivant.

On peut même penser que son aspect « liberté d’expression », désormais acces­sible à tous, se retrouve dans les besoins capi­ta­listes et néo­li­béraux : un déve­lop­pement capi­ta­liste de l’internet qui, pour une large part, récupère l’argument liber­taire de la pos­si­bilité d’expression publique indi­vi­duelle (tant qu’elle ne rentre pas en concur­rence avec ses intérêts), l’exploite à son profit et, même, en fait un argument mar­keting de son propre déve­lop­pement (ce qui, évidemment, permet ensuite la dénon­ciation des « libéraux-​​libertaires » sur la base de cette récupération).

L’article se termine ainsi sur une citation de l’interview :

« À l’époque féodale, c’était l’exploitation de terres cultivées par des paysans, à l’âge d’Internet, c’est l’exploitation d’espaces imma­té­riels cultivés par des pro­duc­teurs culturels, pro­sumers [consom­ma­teurs pro­duc­teurs, ndlr] et par­tisans de la “free culture”. »

Et voilà : l’amalgame entre une « free culture » et sa récu­pé­ration par le capi­ta­lisme permet de dénoncer l’ensemble : les liber­taires et autres par­tisans de l’accès des indi­vidus à l’expression publique ne seraient ainsi que des idiots utiles du capi­ta­lisme néo­li­béral, rebaptisé ici « néoféodalisme ».

Notons cette remarque per­ti­nente d’un par­ti­cipant du forum, Oliviou, qui anéantit en un para­graphe cette idée de « néo­féo­da­lisme » de l’internet :

La com­pa­raison avec le servage ne tient pas. Le serf est obligé de tra­vailler pour le sei­gneur pour avoir le droit d’habiter sur ses terres. L’internaute peut « habiter » internet comme il l’entend : y résider, y passer, trouver des infor­ma­tions, glander… Et c’est (la plupart du temps) gratuit, et on ne lui impose rien en échange (en dehors de payer un abon­nement, et encore…). C’est l’internaute qui décide de ce qu’il veut faire ou pas pour les « sei­gneurs », béné­vo­lement. C’est valable aussi bien pour les contenus moné­tisés dont vous parlez que pour wiki­pedia, par exemple.

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Photo A. Diez Herrero sur Flickr

Venons en à l’interview de Matteo Pasquinelli. Nous apprenons que :

Matteo Pas­qui­nelli est cher­cheur à la Queen Mary Uni­versity de Londres. Dans son livre Animals Spirits, le théo­ricien des médias iden­tifie les conflits sociaux et les modèles écono­miques à l’œuvre der­rière la rhé­to­rique de la culture libre.

La pré­sen­tation du livre sur le site de l’auteur devrait déjà inquiéter :

After a decade of digital feti­shism, the spectres of the financial and energy crisis have also affected new media culture and brought into question the autonomy of net­works. Yet activism and the art world still cele­brate Creative Commons and the ‘creative cities’ as the new ideals for the Internet gene­ration. Unmasking the animal spirits of the commons, Matteo Pas­qui­nelli iden­tifies the key social conflicts and business models at work behind the rhe­toric of Free Culture. The cor­porate parasite infil­trating file-​​sharing net­works, the hydra of gen­tri­fi­cation in ‘creative cities’ such as Berlin and the bice­phalous nature of the Internet with its por­no­graphic under­world are three untold dimen­sions of contem­porary ‘politics of the common’. Against the latent puri­tanism of authors like Bau­drillard and Zizek, constantly quoted by both artists and acti­vists, Animal Spirits draws a conceptual ‘book of beasts’. In a world system shaped by a tur­bulent stock market, Pas­qui­nelli unleashes a poli­ti­cally incorrect grammar for the coming gene­ration of the new commons.

Voilà donc un briseur de tabous (digital feti­shism) qui dénonce les Creative Commons, les « villes créa­tives » et la « Free Culture ». Excusez l’a priori, mais on a l’habitude aujourd’hui de se méfier de ces bri­seurs de tabous qui osent le « poli­ti­quement incorrect », de Domi­nique Wolton à Nicolas Sarkozy. Un dis­cours qui, sous des atours de dénon­ciation du néo­li­bé­ra­lisme (le titre Animal spirits renvoie à une expression forgée par Keynes en 1936), des com­mu­nau­ta­rismes, de l’exclusion, s’attaque en fait direc­tement à ceux qui tentent réel­lement des approches alter­na­tives au néolibéralisme.

L’interview commence par une question à la noix :

Dans votre livre, vous cri­tiquez le « digi­ta­lisme » contem­porain, soit la croyance selon laquelle Internet est un espace libre de toute forme d’exploitation, qui nous mènerait natu­rel­lement vers une société du don.

Quel est ce « digi­ta­lisme » contem­porain, qui le sou­tient, où peut-​​on lire ce genre de lubies ? On n’en saura rien. C’est le principe du brisage de tabou : le tabou n’a pas besoin d’exister, il suffit de le dénoncer.

Réponse peu intéressante, mais qui explique :

Si, dans les années 90, nous fai­sions le rêve poli­tique d’une auto­nomie du réseau, aujourd’hui, nous ne faisons que sur­vivre dans un paysage dominé par les monopoles.

« Sur­vivre dans un paysage dominé par les mono­poles », est-​​ce que cela prend par exemple en compte le fait que je puisse louer, auprès d’une petite entre­prise, immé­dia­tement et le plus sim­plement du monde, un serveur Web relié en per­ma­nence au réseau, tournant avec des logi­ciels libres, y ins­taller des outils de publi­cation en ligne tota­lement libres, et pouvoir toucher poten­tiel­lement des mil­lions de lec­teurs, cela pour le même prix qu’un abon­nement à une chaîne de télé­vision privée ? Alors qu’auparavant, pour le même prix, j’aurais pu imprimer environ 200 pho­to­copies A4 que j’aurais dû scotcher sur les murs (en espérant éviter une amende pour affi­chage sauvage).

Admettons cependant qu’avec mon serveur per­sonnel, ma page per­son­nelle, mes mil­liers de lec­teurs, etc., je sois comme un rat en train de sur­vivre au milieu de la Babylone capi­ta­liste du Web.

Quels sont les mono­poles sur le Web ? Quelle est leur via­bilité écono­mique ? Que rôle joue la concur­rence entre ces mono­poles ? Il est tou­jours facile d’extrapoler à partir du cas Google, en oubliant qu’il est le seul acteur de sa dimension sur l’internet, qu’il est aussi qua­siment le seul ren­table, et que par ailleurs une seule de ses acti­vités (la publicité en ligne) est ren­table (et finance toutes ses autre activités).

Depuis la fin des années 90 et la pre­mière vague de startups, l’économie capi­ta­liste de l’internet fonc­tionne sys­té­ma­ti­quement sur ce modèle : inves­tis­sement massif initial (capital-​​risque) pour tenter d’établir un monopole de fait sur un secteur du marché. C’est ce que je décrivais en février 2000 sous le titre « Les prin­cipes généraux d’une belle arnaque », et qui est désormais connu sous le nom « Modèle IPO » :

L’activité d’une start-​​up, autant du point de vue de l’entreprenaute que du capital-​​risqueur, est donc toute entière tournée vers la séduction des marchés finan­ciers : le but n’est pas la création de richesses et d’emplois, la ren­ta­bilité pro­ductive ni le progrès des com­pé­tences (laissons tout cela aux idéa­listes !), mais l’intoxication des inves­tis­seurs lors de l’introduction sur le marché. L’activité de l’entreprise (vendre des bidules, rerouter des emails, héberger des sites…) est donc secon­daire dans cette optique (et, de toute façon, peu ren­table) : ça n’est que l’alibi d’un men­songe spé­cu­latif plus vaste. Il ne s’agit pas, en quelques années, de réel­lement valoir quelque chose, mais de faire croire au marché que l’on vaut quelque chose.

Pour l’instant, la plupart des « mono­poles » de l’internet suivent tou­jours ce modèle de déve­lop­pement, sans réelle ren­ta­bilité, mais avec un déve­lop­pement ful­gurant à base d’ouvertures du capital. L’explosion de la pre­mière bulle internet nous a débar­rassé de la pre­mière vague de start-​​ups. On ne sait pas ce qui arrivera à la nou­velle vague, mais dénoncer les mono­poles d’aujourd’hui comme un fait écono­mique, poli­tique et social accompli immuable c’est, à nouveau, oublier les rela­tions capi­ta­listes qui régissent ces monopoles.

On bouffait déjà de la « des­truction créa­trice » en 2000, théorie qui date du siècle dernier (Joseph Schum­peter, 1942) : le déve­lop­pement capi­ta­liste des entre­prises vise à l’établissement de mono­poles tem­po­raires de fait, mono­poles qui seront inexo­ra­blement détruits et rem­placés par l’évolution tech­nique et capi­ta­liste. Il faut croire que, dix ans plus tard, par quelques chan­gement capi­ta­liste magique, on devrait être convaincus que des mono­poles sans ren­ta­bilité sont là pour toujours.

Question suivante :

Dans son livre la Richesse des réseaux, Yochai Benkler déclare que l’information n’est pas en concur­rence, et prédit un mode de pro­duction non com­pé­titif. Vous réfutez ce credo.

Là, je suis content de voir citer un livre publié en 2009 pour dénoncer une inno­vation concep­tuelle, la non-​​rivalité de l’information. C’est pourtant l’une des théories à la noix qu’on nous four­guait déjà lors de la pre­mière vague de déve­lop­pement de la nou­velle économie, et j’y consa­crais une longue partie de « Au secours, mon fils entre­pre­naute… » en 2000.

Le théo­ricien des médias dénonce donc ici un mythe déjà dénoncé il y a dix ans, et que la chute de la pre­mière bulle spé­cu­lative de l’internet a déjà, dans la pra­tique, mise à bas.

Mattheo Pasquinelli :

Regardez les tra­vailleurs cog­nitifs et les free­lances créatifs de la pré­tendue géné­ration laptop. Ont-​​ils l’air de ne pas être en concurrence ?

Mais quel rapport entre la non-​​rivalité de l’information et la non-​​concurrence entre ceux qui la pro­duisent ? Per­sonne n’a jamais confondu les deux (à part un pro­vi­dentiel livre de 2009 qui décou­vrirait une vieille lune et un « mode de pro­duction non com­pé­titif »), et même ceux qui théo­ri­saient la non-​​rivalité de l’information la liaient à la concur­rence des entre­prises qui la pro­duisent pour jus­tifier les inves­tis­sement capi­ta­lis­tiques des startups. L’idée (même fausse) étant qu’il fallait investir mas­si­vement, à perte pour une longue période, pour déve­lopper les mono­poles qui, ensuite, ven­draient ce produit dont la vente peut être répétée à l’infini (puisqu’on peut vendre exac­tement le même produit déma­té­rialisé plu­sieurs fois, alors qu’on ne peut vendre un disque phy­sique qu’à un seul client — il faut fabriquer un second disque phy­sique pour un second client).

De fait, la confusion entre la non-​​rivalité d’un bien et la non-​​concurrence des pro­duc­teurs n’a jamais existé, bien au contraire. C’est la concur­rence même des pro­duc­teurs d’un bien non-​​rival qui a jus­tifié les inves­tis­se­ments capi­ta­lis­tiques sur le Web depuis dix ans. C’est un « mythe » inexistant qui est ici dénoncé.

La question sui­vante entend dénoncer « l’exploitation para­si­taire de l’économie imma­té­rielle par l’économie maté­rielle ». Rien de nouveau, mais on note :

Prenons les réseaux peer to peer. Ils sabotent les revenus de l’industrie du disque mais, en même temps, ils établissent un nouveau com­merce, celui des lec­teurs mp3 et iPods.

Cette dénonciation des réseaux peer to peer revient dans le point suivant :

Un exemple basique : le numé­rique a changé le monde de la musique d’une manière néo­féodale. Les réseaux peer to peer ont affecté à la fois les grands noms de l’industrie musicale et l’underground. Le numé­rique a rendu la scène musicale plus com­pé­titive et pola­risée, seuls quelques noms peuvent sur­vivre dans un marché où les disques ne se vendent plus.

Si, évidemment, le progrès tech­nique influe sur l’économie de la musique, l’idée que ce sont les réseaux peer to peer qui « sabotent les revenus de l’industrie du disque » et pro­voquent son passage dans une structure « néo­féodale » est grotesque.

Seuls les tenants les plus obtus de Hadopi pensent cela et peinent à le démontrer. On a le droit de penser que la structure de l’industrie du disque était « féodale » bien avant l’arrivée du numé­rique (et que l’arrivée du numé­rique pourrait être une alter­native à la dépen­dance absolue des artistes face aux indus­triels), et que le numé­rique aug­mente la consom­mation mar­chande des biens culturels tout en ren­forçant la concur­rence entre ces biens (les dépenses consa­crées aux biens culturels aug­mentent lar­gement, mais le disque est concur­rencé par les autres dépenses dans les moyens de com­mu­ni­cation, les jeux vidéo, les abon­ne­ments à la télé­vision, les DVD, etc.).

Puis de dénoncer la gentrification des « villes créatives » :

Prenez les « villes créa­tives » et observez le pro­cessus de gen­tri­fi­cation. Le grand vain­queur de ce capital sym­bo­lique col­lectif produit par les mul­ti­tudes de créatifs branchés est le marché de l’immobilier.

Ou comment inverser tota­lement les causes et les effets (et on se demande quel est le rapport avec le déve­lop­pement de l’internet). La gen­tri­fi­cation des espaces urbains est ana­lysée, par exemple, dans cette étude. Certes, les acteurs peuvent (som­mai­rement) être qua­lifiés de « créatifs branchés » :

La gen­tri­fi­cation pari­sienne est donc prin­ci­pa­lement menée par des acteurs privés à travers la réha­bi­li­tation de l’habitat popu­laire (Clerval, 2008b). Ce sont notamment des artistes et des archi­tectes à la recherche de locaux pro­fes­sionnels qui inves­tissent les anciens espaces arti­sanaux et indus­triels de l’Est parisien dès la fin des années 1970, parfois dans le sillage du mou­vement des squats de cette décennie (Vivant et Charmes, 2008). Mais plus lar­gement, à la même époque, des ménages des classes moyennes – parmi les­quels les pro­fes­sions cultu­relles sont sur-​​représentées – acquièrent des loge­ments dans un quartier popu­laire et les réha­bi­litent (Bidou, 1984)

Mais les causes ne sont pas les « créatifs branchés » eux-​​mêmes, mais des fac­teurs struc­turels de l’emploi et du logement :

Comme ailleurs, la gen­tri­fi­cation des quar­tiers popu­laires pari­siens s’explique par plu­sieurs fac­teurs struc­turels dans le domaine de l’emploi ou du logement. Le plus évident est la baisse continue du nombre d’emplois d’ouvriers en Île-​​de-​​France et à Paris depuis les années 1960. Elle s’accompagne de la baisse du nombre d’emplois peu qua­lifiés du ter­tiaire (employés) à Paris depuis les années 1980, tandis que les emplois de cadres et de pro­fes­sions intel­lec­tuelles supé­rieures (CPIS) aug­mentent consi­dé­ra­blement dans la même période (Rhein, 2007 ; Clerval, 2008b). Cette trans­for­mation de la structure des emplois en Île-​​de-​​France s’explique elle-​​même par la recom­po­sition de la division inter­na­tionale du travail, accé­lérée par les poli­tiques macro-​​économiques néo-​​libérales depuis les années 1980 : la déré­gle­men­tation et l’intégration inter­na­tionale de l’économie favo­risent la mise en concur­rence de la main-d’œuvre ouvrière à l’échelle mon­diale et faci­litent la glo­ba­li­sation de la pro­duction indus­trielle, tandis que la métro­po­li­sation qui en découle entraîne la concen­tration des emplois qua­lifiés en Île-​​de-​​France. Cependant, la trans­for­mation de la structure des emplois ne suffit pas à expliquer la sélection sociale crois­sante à l’œuvre dans l’espace rési­dentiel de Paris intra-​​muros (Clerval, 2008b). Les struc­tures du logement et du marché immo­bilier y accen­tuent les dyna­miques opposées des CPIS et des caté­gories popu­laires (ouvriers et employés). L’habitat popu­laire ancien se dégrade sous l’effet des stra­tégies de ren­ta­bi­li­sation à court terme des bailleurs ou de leur volonté de se des­saisir de leurs biens (en par­ti­culier des immeubles entiers). Les poli­tiques de construction massive de loge­ments sociaux en ban­lieue dans les années 1960-​​1970 ont entraîné un départ important des classes popu­laires pari­siennes en péri­phérie et un effet de vacance dans les quar­tiers popu­laires. Ceux-​​ci sont en partie investis par des popu­la­tions plus pré­caires, souvent immi­grées, ou au contraire par des ménages gen­tri­fieurs. Vacance par­tielle et dégra­dation de l’habitat créent un dif­fé­rentiel de ren­ta­bilité fon­cière (Smith, 1982) dans ces quar­tiers proches du centre : après leur inves­tis­sement par les pre­miers gen­tri­fieurs et l’apparition de com­merces à la mode (Van Crie­ckingen et Fleury, 2006), de nom­breux quar­tiers deviennent poten­tiel­lement lucratifs pour les investisseurs.

La gen­tri­fi­cation n’est en aucune façon causée par les « créatifs branchés ». Ils en sont pour une part les acteurs visibles. Mais les causes réelles sont étran­gères à ces acteurs. Écrire : « Le grand vain­queur de ce capital sym­bo­lique col­lectif produit par les mul­ti­tudes de créatifs branchés est le marché de l’immobilier. » est une inversion de la réalité. Elle est bâtie, en gros, sur la même idée qui permet de pré­tendre que les liber­taires sont la cause du néo­li­bé­ra­lisme capi­ta­liste sur le Web.

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Photo gordon (TK8316) sur Flickr

Mais la fin de l’interview permet de com­prendre pourquoi le théo­ricien séduit les journalistes :

On parle souvent de la crise de la classe ouvrière comme d’une entité poli­tique. Mais ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux est une crise de la classe moyenne cog­nitive. Il y a un mot inté­ressant dans la théorie cri­tique fran­çaise, qui examine le capi­ta­lisme cog­nitif : « déclas­sement » – quand une classe sociale est rabaissée, perdant prestige social et écono­mique. En cette décennie du Net, nous faisons l’expérience d’un déclas­sement massif des tra­vailleurs cog­nitifs devenus des tra­vailleurs pré­caires. Le néo­féo­da­lisme est aussi cette dépos­session des acteurs intermédiaires.

Ah, le monopole Google et la « décennie du net », moteurs du déclas­sement des « tra­vailleurs cog­nitifs ». Au premier rang des­quels, on s’en doute, les journalistes.

Mais la trans­for­mation des jour­na­listes en « intellos pré­caires » n’a pas attendu « la décennie du Net ». Là encore, on confond acteurs et causes.

D’abord, il est évident qu’après avoir laminé les classes popu­laires (fin des années 70, début des années 80), le néo­li­bé­ra­lisme s’attaquerait à la classe du dessus.

Le déclas­sement des diplômés est un phé­nomène qui n’a rien à voir avec le Net. Lire par exemple cet article de Sciences humaines.

Au début des années 2000, selon l’étude de Lau­rence Lizé, cher­cheuse à l’université Paris-​​I, environ un tiers des jeunes subissent une situation de déclas­sement. La plus forte crois­sance du phé­nomène se situe entre 1986 et 1995 et a par­ti­cu­liè­rement touché les titu­laires d’un bac et d’un bac +2. La période de tas­sement de l’emploi entre 2001 et 2004 a quant à elle atteint plus sévè­rement les plus diplômés : le pour­centage de diplômés du 3e cycle à devenir cadre est alors tombé de 85 % à 70 %.

Ce déclas­sement, en forte crois­sance entre 1986 et 1995 (faire moins bien que mes parents, à même niveau d’étude), d’ailleurs, j’en témoi­gnais ici même en 1996.

Quant à la trans­for­mation de la presse et la pré­ca­ri­sation des jour­na­listes, là non plus on n’a pas attendu « la décennie du Net » pour mettre en place les poli­tiques néo­li­bé­rales qui ont pro­fon­dément changé la situation : la libé­ra­li­sation de la télé­vision et de la radio, c’est dans les années 1980, avec les modèles Bouygues et Ber­lusconi ; la mutation du quo­tidien Le Monde est bien entamée dans les années 90 ; la trans­for­mation de la presse en « groupes mul­ti­médias » à base d’investissements capi­ta­lis­tiques massifs se fait en même temps que la pre­mière bulle internet. Et on pourra lire de nom­breux billets de Narvic pour se remé­morer les choix stra­té­giques aber­rants des entre­prises de presse sur le Web, qui n’ont pas grand chose à voir avec une nature intrin­sèque de l’internet.

Revenons sur la question des « creative commons » et de la « culture libre », qui n’est pas réel­lement traitée dans l’interview, mais semble cen­trale dans son livre. Il y a à nouveau une confusion : les entre­prises du « Web 2.0 » (pour sim­plifier) dont l’activité est fondée sur l’exploitation mar­chande de contenus générés par les usagers n’ont jamais mis les « creative commons » en avant. Au contraire, toutes ont com­mencé par entre­tenir un flou vaguement artis­tique sur la pro­priété des contenus. Ça n’est que sous la pression des usagers que sont apparus les exposés clairs des licences uti­lisées ; une large partie des entre­prises a alors explicité que, tout sim­plement, le contenu devenait la pro­priété du service mar­chand ; et une minorité a mis en avant la pos­si­bilité de passer ses créa­tions sous Creative Commons (par exemple Flickr). Dans ce cas (l’usager définit la licence de ses propres apports), les Creative Commons sont arrivées comme un moyen de for­ma­liser une situation de fait en redonnant, a pos­te­riori, un certain contrôle par l’usager.

Avant cela, la situation emblé­ma­tique a été IMDB ; cette énorme base de données ali­mentée par les usagers a été vendue à Amazon en 1998 : les mil­liers d’usagers qui avaient fabriqué cette res­source docu­men­taire phé­no­ménale se sont sentis exploités lors de cette revente au profit des seuls créa­teurs « tech­niques » du service. Et sans la conscience apportée par la suite par les mou­ve­ments du libre et des Creative Commons au néces­saire contrôle des usagers sur les licences des sites contri­butifs, ils n’avaient aucune arme, ni juri­dique ni même concep­tuelle, pour répondre à une telle situation.

Ça n’est donc pas la « free culture » qui a fabriqué ni permis l’exploitation com­mer­ciale du travail col­lectif. C’est au contraire elle qui tente de fournir des armes intel­lec­tuelles et juri­diques aux contri­bu­teurs de ce travail col­lectif. Sans la « free culture », la question ne se poserait pas, et le transfert sys­té­ma­tique des droits vers les entre­prises serait aujourd’hui le seul modèle existant.

Un extrait d’un autre texte de Pas­qui­nelli aborde le sujet de la « culture libre », « Imma­terial Civil War » :

An example of the com­pe­tition advantage in the digital domain is the Wired CD included with the November 2004 issue under the Creative Commons licences. Music tracks were donated by Beastie Boys, David Byrne, Gil­berto Gil, etc. for free copying, sharing and sam­pling (see : http://www.creativecommons.org/wired). The neo­li­beral agenda of Wired magazine pro­vides the clear coor­di­nates for unders­tanding that ope­ration. Indeed, there are more examples of musi­cians and brain workers that asso­ciate their activity with copyleft, Creative Commons or file sharing on P2P net­works. We only heard about the first runners, as it is no longer a novelty for those who came second. Anyway, there never is a total adhe­rence to the Creative Commons crusade, it is always a hybrid strategy : I release part of my work as open and free to gain visi­bility and cre­di­bility, but not the whole work. Another strategy is that you can copy and dis­tribute all this content, but not now, only in four months. And there are also people com­plaining about Creative Commons and Free Software being hijacked by cor­po­ra­tions and majors – the point is that the world out there is full of bad music which is free to copy and dis­tribute. No scandal, we have always sus­pected it was a race.

Parce que des néo­li­béraux uti­lisent l’argument libre, parce que des artistes de renommée mon­diale (signés et liés contrac­tuel­lement à leur major) dif­fusent une partie des mor­ceaux à titre publi­ci­taire sous cet emballage, en confondant Copyleft, Creative Commons, logi­ciels libres et réseaux P2P, en occultant la qualité et la richesse des pro­duc­tions « libres » par ailleurs, en oubliant que dans une société capi­ta­liste aucun individu ne peut faire l’impasse sur les impé­ratifs écono­miques qui pèsent quo­ti­dien­nement sur lui, il est aisé de conclure que la phi­lo­sophie du libre n’est qu’une course de rats.

Quant à l’aggravation de la cession des droits d’auteurs des jour­na­listes sur l’internet, elle n’est pas non plus due aux mili­tants du libre, mais aux lobbies de patrons de presse relayés par le légis­lateur : « Hadopi contre le droit d’auteur des jour­na­listes : c’est confirmé ». Dif­ficile de trouver ici un rapport avec la phi­lo­sophie des Creative Commons.

Évidemment, après la dénon­ciation des pseudos-​​tabous de l’internet, on peut se per­mettre de pré­tendre être le premier à réfléchir :

Nous devrions réel­lement com­mencer à dis­cuter la pro­duction, l’extraction et l’accumulation de valeurs écono­miques réelles réa­lisées à partir des réseaux plutôt que de nous com­plaire dans un idéa­lisme bon marché.

Tiens, je me demande bien qui, avant Matteo Pasquinelli, aurait bien pu « com­mencer à dis­cuter la pro­duction, l’extraction et l’accumulation de valeurs écono­miques réelles » dans une société en per­pé­tuelle mutation ?

La bour­geoisie ne peut exister sans révo­lu­tionner constamment les ins­tru­ments de pro­duction, ce qui veut dire les rap­ports de pro­duction, c’est-à-dire l’ensemble des rap­ports sociaux. […] Ce bou­le­ver­sement continuel de la pro­duction, ce constant ébran­lement de tout le système social, cette agi­tation et cette insé­curité per­pé­tuelles dis­tinguent l’époque bour­geoise de toutes les pré­cé­dentes. Tous les rap­ports sociaux, figés et cou­verts de rouille, avec leur cortège de concep­tions et d’idées antiques et véné­rables, se dis­solvent ; ceux qui les rem­placent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et per­ma­nence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs condi­tions d’existence et leurs rap­ports réci­proques avec des yeux désabusés.

Article initialement publié sur Le Scarabée

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L’administration Obama est-elle la meilleure startup de 2009 ? http://owni.fr/2009/08/19/ladministration-obama-est-elle-la-meilleure-startup-de-2009/ http://owni.fr/2009/08/19/ladministration-obama-est-elle-la-meilleure-startup-de-2009/#comments Wed, 19 Aug 2009 14:37:32 +0000 Rubin Sfadj http://owni.fr/?p=2467

Anil Dash écrit :

Après avoir bien regardé la scène des nouvelles tech (et bien sûr, nombre de mes billets récents portent sur Facebook, Google, Apple et d’autres géants de l’industrie des nouvelles tech), je pense que la nouvelle startup la plus prometteuse de 2009 est l’une des moins probables : la branche exécutive du gouvernement fédéral des États-Unis.

À l’appui de son analyse, il cite les nouveaux sites créés par l’administration Obama dans le cadre de sa communication web : data.gov, usaspending.gov, recovery.gov, et bien sûr whitehouse.gov.

Dash note que chacun de ces sites présente trois caractéristiques des meilleures startups fondées à New York ou dans la Silicon Valley :

  • ils suivent une stratégie de marque bien établie et respectée sur chaque site
  • l’attention portée au design est évidente, tant au niveau cosmétique que de l’architecture
  • les services offerts sont de plus en plus accompagnés d’API et des sources, afin que des tiers puissent élaborer des applications sur la base de ces sites

Le gouvernement fédéral encourage même l’organisation par des poids lourds du secteur d’un concours portant sur le développement de la meilleure application basée sur le site data.gov : Apps for America.

Dash a eu le nez creux : quatre jours après la publication de son billet, la FCC (Federal Communications Commission, l’agence en charge de la régulation du secteur des télécoms) a ouvert un blog afin de communiquer sur le plan pour la démocratisation du haut-débit aux États-Unis.

Que penser de cette nouvelle approche du rôle de l’État en matière de nouvelles technologies ? Voici quelques remarques en vrac :

  • Ébauche d’analyse négative : en essayant de devenir une espèce de grand réseau social, l’État se mêle encore un peu plus de ce qui ne le regarde pas. Sous des airs d’innovation et de startup, l’État — et le pouvoir — augmentent encore leur place dans l’économie, et creusent un peu plus leurs déficits. Que le gouvernement utilise des campagnes d’affichage, une télévision d’État ou Facebook, sa communication court toujours le risque de confiner à la propagande.
  • Ébauche d’analyse positive : concrètement, les sites ouverts par le gouvernement américain permettent à tout un chacun de consulter une masse de données qu’aucun gouvernement n’a jamais mis à la disposition du public. Le détail et la variété des données fournies sur les sites en question est extraordinaire. Les scientifiques, les économistes et les sociologues de tous bords et de tous horizons sont certainement reconnaissants. Que l’on s’interroge ou non sur la véracité des informations fournies, l’effort de transparence est incontestable, et doit être salué.
  • Ébauche d’analyse comparative : que l’on appréhende ces évolutions de façon pessimiste ou optimiste, réservée ou enthousiaste, elles ont au moins le mérite de démontrer que tous les gouvernements ne conçoivent pas le web avant tout comme un grand terrain de jeu pour les pédophiles, les pirates et la mafia. Rafraîchissant, non ?
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