Aaron et Gabriel. La dispute.

Le 12 juin 2009

Pour écrire les articles sur l’humanisme, l’imprimerie et la réforme, je lis ou relis beaucoup de choses passionnantes. Parmi elles, un livre sorti en 1979 aux éditions Robert Laffont : La Mémoire d’Abraham de Marek Halter. C’est un livre magnifique. Un passage du livre en rapport avec notre sujet, retient l’attention, on pourrait le résumer ainsi  :  [...]

Pour écrire les articles sur l’humanisme, l’imprimerie et la réforme, je lis ou relis beaucoup de choses passionnantes.
Parmi elles, un livre sorti en 1979 aux éditions Robert Laffont : La Mémoire d’Abraham de Marek Halter. C’est un livre magnifique.

Un passage du livre en rapport avec notre sujet, retient l’attention, on pourrait le résumer ainsi  :  Le refus, presque le déni des technologies, est un des marqueurs d’une rupture  ontologique. (Pas de panique… je vais m’expliquer.)

Voyons de quoi parle La Mémoire d’Abraham

L’histoire est simple dans son principe. Elle commence en 70 ap J.C, lors de la destruction du Temple de Jérusalem par les légions romaines.
Abraham le scribe, Judith son épouse et leurs 2 enfants Elie et Gamliel quittent Jérusalem. Ils partent pour toujours.
De 70 jusqu’au départ du ghetto de Varsovie en 1943, 20 siècles de tribulations, de drames, de morts et de naissances.  C’est l’histoire de la lignée d’Abraham, le scribe, que raconte Mark Halter.

Marek Halter nous promène à Alexandrie, Hippone, Cordoue, Narbonne, Troyes, Strabourg, en Italie, en Allemagne, en Pologne. Il nous emmène au cÅ“ur d’évènements pas toujours connus.
Les massacres des juifs de Worms et de la vallée du Rhin par les premiers croisées à-demi fous. Le grand bûcher de Strasbourg, où, après le peste noire de 1346, périrent assassinés des centaines de Juifs.
Mais la Mémoire d’Abraham ça n’est pas que cela. C’est beaucoup de joies, de naissances et c’est surtout la vie et les noms conservés dans un rouleau de papyrus : Le rouleau d’Abraham. Lui, le scribe, fut le premier en quittant Jérusalem en 70 à écrire la chronique de sa lignée. Une chronique très simple. Après Abraham, il y eut toujours un scribe dans la famille pour enrichir et tenir à jour le rouleau, si bien que 12 ou 13 siècles plus tard ce rouleau de papyrus, cette Mémoire d’Abraham, est un véritable trésor familial et l’ histoire d’une partie du peuple juif.

Après bien des tribulations Gabriel a 20 ans
Nous sommes en 1438 dans le village rhénan de Benfeld, précisément dans l’atelier de Hans Gensfleisch, quelques jours avant la Noël. Hans Gensfleisch, deux de ses associés et Gabriel mettent au point un mélange de plomb, d’antimoine et d’étain.
Cet alliage est versé dans des formes. Il refroidit. Les moulages sont mis sous une presse, on les encre, on y presse du papier. Pour la première fois, après des centaines d’essais, les formes résistent à la pression.
Un texte imprimé apparaît sur le papier : scriptura manent, les écrits demeurent. Hans Gensfleisch est plus connu sous le nom de Gutenberg. Il venait de faire un grand pas vers l’invention de l’imprimerie.
Gabriel, qui travaillait avec Gutenberg ce jour-là, est le dernier rejeton de la lignée d’Abraham scribe de Jérusalem. Scribe lui-même, Gabriel est le fils d’Aaron.

Entre Aaron et Gabriel, ça coince.
Maintenant le plus intéressant du point de vue de notre sujet.
Aaron est scribe, héritiers de générations et de générations de ces personnes qui copient, recopient à la plume, sur des papyrus au début puis sur des parchemins, des textes bibliques ou talmudiques.
Voilà que son fils Gabriel lui apporte le premier texte imprimé sur du papier. Voici maintenant ce qu’Aaron dit à son fils (extraits du texte de Marek Halter) :

“L’écriture, c’est l’affaire de l’homme, de la main, de l’oeil. Il faut une attention soutenue, de la patience, du goût…Notre travail à nous (scribes), c’est la transcription des rouleaux de la Tora, c’est malekhet hakodesh, travail sacré. Nous prenons part nous-mêmes à la fabrication du parchemin, nous faisons nous-même notre encre…nous nous recueillons chaque fois que nous écrivons le Nom vénéré de Celui qui est.
Tout cela, mon fils, tu vois bien que tu ne peux l’obtenir avec tes lettres en plomb et ta presse en bois.”

Analogie

Je trouve ce texte extraordinaire à plus d’un titre, mais le principal est à mon avis qu’il marque la cassure ontologique qui se produit en un instant entre une tradition et une modernité.
Ce passage est exemplaire de notre immédiate réalité, tant nombre de “créateurs” au sens le plus large du terme, semblent entretenir un rapport sacralisé avec les modes de productions et de diffusions devenus traditionnels.
Leur refus, presque leur déni des technologies, risquent de leur faire rejoindre de glorieuses mais momifiées icônes comme les moines copistes ou les scribes.

En philosophie, l’ontologie (du grec ὄν, ὄντος, participe présent du verbe être) est l’étude de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire l’étude des propriétés générales de ce qui existe.
Par analogie, le terme est repris en informatique et en science de l’information, où une ontologie est l’ensemble structuré des termes et concepts représentant le sens d’un champ d’informations, que ce soit par les métadonnées d’un espace de noms, ou les éléments d’un domaine de connaissances. L’ontologie constitue en soi un modèle de données représentatif d’un ensemble de concepts dans un domaine, ainsi que les relations entre ces concepts. Elle est employée pour raisonner à propos des objets du domaine concerné.

Source Wikipedia.

Bien, ceci dit, pour cet été si vous êtes en panne de lecture, permettez-moi de vous conseiller “La Mémoire d’Abraham” de Marek Halter.
Un bon gros livre en papier qui vous baladera dans l’histoire européenne et remettra à leur place quelques clichés historiques.

Dominique Nugues édite : le Présent de Dieu

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés